Jusqu’au 15 août, le Ministère de l’écologie soumet à la consultation publique un projet d’arrêté triennal fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction de la sous-espèce continentale de Grand cormoran (Phalacrocorax carbo sinensis) peuvent être accordées par les préfets pour la période 2022/2025.
Cet oiseau piscivore est protégé au niveau européen au titre de la Directive du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages. Toutefois, afin de limiter sa prédation sur les espèces protégées de poissons d’eau douce ainsi que sur les piscicultures en étang, des dérogations restent possibles pour mener des opérations de destruction.
Série de revers juridiques
L’obtention de telles dérogations est soumise à de strictes conditions : s’agissant du tir en eaux libres (fleuves, rivières), l’État ne peut pas autoriser le tir des grands cormorans sans avoir au préalable démontré la réalité des prédations sur les poissons protégés, l’absence d’atteinte au bon état de conservation de l’espèce, et le fait qu’aucune autre solution efficace n’existe. Parce que ces conditions n’étaient pas réunies, la LPO a fait annuler 15 arrêtés de destruction de cormorans dans plusieurs départements (Loir et Cher, Haute-Loire, Oise, Aveyron, Corrèze, Doubs, Eure, Eure et Loire, Lot et Garonne, Nièvre, Pyrénées Orientales, Savoie, Tarn et Vaucluse) depuis la publication du dernier arrêté triennal du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux de destruction pour la période 2019/2022.
Les juges ont notamment sanctionné le fait que les données relatives à l’impact de la prédation des cormorans sur les populations d’espèces de poissons protégées étaient en général mal connues et ne suffisaient donc pas à justifier les destructions. Face à ce constat, le nouveau projet d’arrêté 2022/2025 soumis à consultation publique depuis le 25 juillet 2022 propose de ne plus autoriser la destruction des cormorans en eaux libres (cours d’eau et plans d’eau), mais seulement à proximité des piscicultures.
Deux sous-espèces impossibles à distinguer
Par ailleurs, la sous-espèce maritime du Grand cormoran (Phalacrocorax carbo carbo) est strictement protégée et sa destruction passible de 150000€ d’amende et 3 ans d’emprisonnement. Avec une population française fragile estimée à moins de 2000 couples nicheurs, elle est présente dans 8 départements normands et bretons où elle cohabite avec sa cousine continentale. Compte tenu de l’impossibilité de les distinguer à l’œil nu, le projet d’arrêté prévoit qu’aucune dérogation autorisant la destruction de cormorans ne pourra désormais être accordée dans les départements littoraux des régions Bretagne et Normandie, soit leur totalité sauf l’Orne.
Au final, le gouvernement propose de fixer des plafonds annuels de prélèvements dans 58 départements pendant la période 2022/2025 pour tuer un total maximum de 27892 grands cormorans continentaux, contre 50283 au cours de la période 2019/2022, sur un effectif français moyen estimé à environ 90000 individus hivernants et 8000 couples nicheurs, qui continue de croître.
Peut mieux faire
La LPO prend acte des avancées de cet arrêté qui a fait l’objet d’un avis favorable du Conseil national de protection de la nature (CNPN). Cependant, des méthodes d’effarouchement efficaces et non létales existent pour éloigner les grands cormorans et devraient être privilégiées pour limiter leurs dégâts dans les exploitations piscicoles, d’autant plus que l’efficience des destructions dans ce domaine n’a jamais été établie de manière scientifique. II n’existe pas de solution unique déployable à grande échelle, de telles mesures doivent être adaptées aux particularités locales. Mais les tirs pratiqués depuis maintenant 30 ans ont clairement démontré leur inefficacité.
L’exécutif est trop longtemps resté confortablement installé dans l’idée qu’il était plus facile de rendre le Grand cormoran responsable du déclin de certaines espèces de poissons que de s’interroger sur la qualité des eaux, les sécheresses meurtrières, les barrages multiples et les pesticides dégoulinant dans les rivières. La prochaine étape est de réaliser qu’à l’instar de l’agriculture, l’aquaculture ne doit pas se développer au détriment de la faune sauvage.