En mai 2023, une étude du CNRS mettait en évidence la disparition des oiseaux des champs en Europe, qui ont perdu 60 % de leurs effectifs en à peine quarante ans, soit 800 millions d’oiseaux en moins. Au-delà des oiseaux, c’est en réalité toute la chaine du vivant qui s’est effondrée dans nos campagnes depuis la deuxième guerre mondiale, victime des pesticides, du remembrement et de la mécanisation à outrance, au nom de l’indépendance alimentaire. Or, dans un texte publié en juin 2023, plus de 3 000 scientifiques démontraient que notre souveraineté alimentaire est désormais surtout menacée par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, essentielle pour la fertilité des sols et la pollinisation de nombreuses cultures.
En poussant à l’agrandissement des exploitations, à la standardisation des pratiques et à la productivité à bas prix, le modèle agro-industriel dominant en Europe s’est avéré extrêmement néfaste pour la nature et le climat : énergies pour les machines et l’import/export, disparation des structures bocagères, produits phytosanitaires, épuisement des ressources en eau, massacre aveugle des animaux sauvages susceptibles d’être nuisibles aux rendements, etc.
La LPO est solidaire des paysans qui revendiquent de produire une alimentation saine et de toucher des revenus dignes en préservant les écosystèmes et les paysages. Notre association est également favorable à un partage plus équitable entre les agriculteurs des aides de la Politique agricole commune (PAC), en favorisant l’utilisation de cet argent public pour accompagner la transition agroécologique. Enfin, la LPO souhaite que l’agriculture biologique soit davantage soutenue par une politique alimentaire ambitieuse et soutient la mise en place de mesures miroirs sur les produits d’importation afin de ne plus favoriser le moins-disant écologique.
Ceux qui aujourd’hui cherchent opportunément à opposer la protection de l’agriculture à celle de la nature sont les tenants d’un modèle ultra-libéral dont les profits sont confisqués par la grande distribution et les industriels sur le dos des agriculteurs, que les gouvernements successifs et la FNSEA ont guidé dans l'impasse actuelle avec l’aide de la PAC. Pour que les exploitants vivent justement de leur métier, il est nécessaire de faciliter leur engagement massif dans la transition écologique. Plusieurs mesures d’urgence annoncées par Gabriel Attal pour tenter de juguler rapidement la crise en cours vont à l’encontre d’un tel objectif :
Frein sur la réduction des pesticides
La mise en place d’une production agricole moins dépendante aux intrants chimiques est plus que jamais une urgence sanitaire et écologique. Les connaissances sur les effets délétères de ces molécules sur la santé humaine et l’environnement se renforcent chaque année, comme en attestent plusieurs expertises collectives récentes, notamment celles de l’Inserm et de l’INRAE/IFREMER.
Malgré ces conséquences reconnues, la réaction nécessaire n’a pas eu lieu au niveau français ni à l’échelle européenne, En témoignent les échecs cuisants des précédents "plans Ecophyto" successifs en France, dont le Premier Ministre vient d’annoncer la mise à l’arrêt. Les ressources mobilisées ont certes été considérables, mais seule une partie des financements a effectivement été dirigée vers l’accompagnement des agriculteurs dans la réduction de l’usage des pesticides. En novembre 2023, le Parlement européen a prolongé de 10 ans l’autorisation du glyphosate avant de rejeter le projet de règlement sur l’usage durable des produits phytosanitaires.
Pour l’année 2022, le NODU (pour « Nombre de Doses Unités »), l’indicateur de référence sur l’utilisation des pesticides, était de nouveau en augmentation de 3,5% par rapport à 2021 et les quantités de substances actives vendues étaient aussi reparties à la hausse, repassant au-dessus des 68 000 tonnes/an. En réponse, le Gouvernement souhaite maintenant changer d’indicateur…
La LPO attend de l’exécutif qu’il réaffirme son ambition de réduire de moitié l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à l'horizon 2030 par rapport à la période 2015-2017. Cette diminution est indispensable pour garantir à la fois la résilience des écosystèmes ruraux et protéger la santé des agriculteurs, des consommateurs et de la biodiversité.
Pourquoi tant de haies ?
Gabriel Attal a déclaré qu’il comptait réduire de 14 à 1 les normes s’appliquant aux haies. S’il est vrai que la destruction de ces structures végétales essentielles à la biodiversité est très règlementée, le sujet ne concerne en réalité que l’agriculture intensive, responsable de la disparition de plus de 20 000 km de haies par an. Depuis 1950, près de 70% des haies ont ainsi disparu des bocages français. Causes de cette hémorragie : le regroupement des parcelles agricoles, la mécanisation de l’agriculture, l’expansion urbaine, le non entretien des haies existantes et le déclin de l’élevage extensif.
Habitats indispensables à la survie de nombreuses espèces sauvages, les haies limitent l’érosion des sols, participent au stockage du carbone, régulent la ressource en eau, fournissent de l’ombre pour le bétail, tout en ayant un effet coupe-vent. Annoncer la simplification de leur destruction est contraire à la Stratégie nationale biodiversité 2030 du Gouvernement, et contradictoire avec l’engagement pris lors du lancement du « Pacte en faveur de la haie » le 29 septembre 2023. Le Ministre de l’Agriculture avait alors annoncé un objectif de replantation inédit visant un gain net total de 50 000 km de haies d’ici 2030. Plus de 100 millions d'euros ont été budgété par l'Etat pour mener à bien cette action. Comment expliquer un tel changement de politique publique en quelques mois ?
J’achève les jachères
L’Etat français vient de convaincre la Commission européenne de lever l'obligation de consacrer aux jachères au moins 4% des terres cultivées, exigée en contrepartie des aides publiques de la PAC. Il s’agit d’un recul sans précédent que nous dénonçons et nous comptons sur les agriculteurs soucieux de la biodiversité pour ne pas appliquer cette nouvelle déréglementation. Les jachères représentent en France 300 000 hectares de terres arables, soit moins de 2% de la surface totale, et la grande majorité est constituée de sols pauvres ou difficiles d’accès présentant un potentiel de production très limité. Elles jouent en revanche un rôle écologique essentiel : amélioration de la qualité des eaux, lutte contre l’érosion, restauration des sols, protection intégrée des cultures, séquestration du carbone et accueil de la faune sauvage. L’Alouette des champs, la Perdrix grise ou encore l’Œdicnème criard, trois oiseaux en mauvais état de conservation typiques des milieux ruraux, sont ainsi en moyenne 3 fois plus nombreux en période de reproduction sur les exploitations comprenant des jachères aménagées.
Zones humides contre mégabassines
Les zones humides disparaissent sur Terre trois fois plus vite que les forêts. Plus du tiers ont disparu depuis 1970, principalement en raison de l’urbanisation et de l’agriculture intensive. En France, cette proportion passe à plus de 60%. Seuls 6% des zones humides françaises, qui hébergent 50% des oiseaux et 30% des espèces végétales, sont actuellement estimées en bon état de conservation. Dans un contexte de réchauffement climatique, l’intensité des épisodes récurrents de sécheresses et d’inondations rappelle désormais chaque année cruellement leur rôle essentiel dans le cycle de l’eau.
Alors que tous les feux étaient au vert pour renforcer la protection de ces refuges pour la biodiversité, avec notamment l’annonce en novembre dernier d’y consacrer un Parc National et un engagement à en restaurer 50 000 hectares d’ici 2026, le chef du Gouvernement fait aujourd’hui machine arrière et décrète une pause dans la cartographie des zones humides et des tourbières destinée à leur préservation.
En parallèle, il annonce de nouvelles dispositions pour limiter les recours contre les projets de retenues collinaires, dont les mégabassines. La LPO n’est pas favorable à la création de ces retenues d’eau géantes destinées à maintenir voire accroitre les surfaces irriguées consacrées à l’agriculture intensive et, au premier chef, à la culture du maïs dans des régions où la pluviométrie n’est pas propice à sa production.
La LPO demande un moratoire sur les réserves de substitution et continuera de mobiliser tous les moyens juridiques nécessaires pour éviter le développement de ces installations qui ne bénéficient qu’à une minorité d’exploitations et fragilisent un peu plus chaque jour la ressource en eau, notre bien commun. Selon le dernier rapport du GIEC, près de 80% des bassins hydrographiques du monde devraient être affectés de manière critique par les pénuries d’eau d’ici à 2050. La France ne sera pas épargnée.
Police désarmée
Gabriel Attal envisage de placer les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) sous la tutelle des préfets tout en s’interrogeant sur la pertinence de leur port d’arme, ce qui constituerait une atteinte grave à la légitimité de cette police de l’environnement. Avec environ 1700 inspecteurs, les effectifs de l’OFB sont déjà notoirement insuffisants et peinent à faire respecter le droit en matière de préservation des la nature. En 2023, 3 000 contrôles ont été effectués sur les 400 000 exploitations agricoles françaises, soit 0,75%.
La LPO soutient sans réserve les actions de contrôle et de sensibilisation menées par l’OFB et appelle au renforcement de cet établissement public dédié à la préservation de vivant.
Grenelle ou grenades
Les réglementations environnementales existent afin de garantir le bon fonctionnement et la durabilité des systèmes agricoles et alimentaires en protégeant les agriculteurs, les consommateurs et les écosystèmes face aux menaces sanitaires, socio-économiques, géopolitiques, climatiques et écologiques.
Face à ce défi aussi vital que complexe, l’affrontement est stérile et même contreproductif. La mobilisation paysanne traduit le désarroi des agriculteurs face à des injonctions contradictoires entre le maintien structurel d’un modèle devenu délétère et les impératifs de transition écologique. Comme lors du Grenelle de l’environnement de 2007, il est urgent de rassembler l’ensemble des acteurs pour élaborer des solutions innovantes et prendre des décisions courageuses à la hauteur des enjeux.
En mettant dos à dos la protection de l’agriculture et celle de la nature, le Gouvernement créé un écran de fumée qui occulte les véritables problèmes des paysans, avant tout d’ordre économique et liés au modèle ultra-libéral de production alimentaire détruisant la biodiversité depuis plus d’un demi-siècle. Ce recul inédit en matière environnementale ne s'inscrit pas dans une démarche d’avenir. L’exception agricole française ne pourra pas se construire en méprisant la nature dont nous dépendons.