Soigner un oiseau mazouté
Un oiseau englué dans une nappe d’hydrocarbures doit subir un parcours du combattant avant d’être rendu à la vie sauvage...
Pour tous les oiseaux dits pélagiques - vivant en haute mer - le contact avec la nappe de fioul se produit au large des côtes. Dès lors, l’oiseau dont le plumage n’est plus étanche risque de couler ou de mourir de froid. Si le vent souffle dans la bonne direction, l’oiseau dérive jusqu’à atteindre la côte…
Les principales familles d’oiseaux touchées sont :
- les alcidés (Guillemot de Troïl, Pingouin torda, Macareux moine)
- les sulidés (Fou de Bassan)
- les laridés (goélands et mouettes)
- les phalacrocoracidés (Grand cormoran, Cormoran huppé)
- les anatidés (canards, oies,…)
Ce sont principalement les oiseaux dits du grand large qui sont touchés mais en fonction des pollutions et des côtes, d’autres espèces peuvent également être atteintes (comme les limicoles). A titre d’exemple plus de 60 espèces d’oiseaux différentes étaient représentées parmi les 74000 victimes répertoriées de la marée noire de l’Erika.
Vous pouvez trouver un oiseau mazouté sur tout le littoral français (25 départements littoraux de la mer du Nord, de la Manche, de l’Océan Atlantique ou de la Méditerranée), sur les îles françaises (Ouessant, Groix, Yeu, Ré, etc.) mais aussi sur des étangs ou des retenues d’eau, suite à des accidents (fuite d’une citerne,…). La probabilité est plus forte entre octobre et mars, lorsque les oiseaux ne sont pas sur leur site de reproduction.
Tous les hivers de nombreux oiseaux s’échouent mazoutés. Plus de 200 oiseaux qui sont accueillis chaque hiver dans les centres de Sauvegarde LPO de l’Ile Grande (Côtes d’Armor) et d’Audenge (Gironde).
Première étape : LA COLLECTE DE L’OISEAU MAZOUTE
Si l'oiseau a suffisamment de réserves de graisse pour survivre à plusieurs jours de dérive il est généralement en bien piteux état lorsqu'il est découvert, au hasard, par des promeneurs sur la côte.
Déshydraté, dénutri, intoxiqué par le pétrole, frigorifié par la perte de l’étanchéité de son plumage, l’oiseau, qui rappelons-le est totalement sauvage et a donc peur de l’homme, doit en plus supporter le stress important de la capture et du voyage en carton jusqu’au centre de sauvegarde le plus proche…
Quelques consignes :
- Attraper l’oiseau avec précautions et sans précipitation.
- Attention au bec (ex : fous de Bassan, hérons, cormorans) ; aux pattes et aux griffes (ex : labbes) ; aux coups d’ailes (ex : cygnes).
- Capturer l’oiseau à l’aide d’une épuisette ou d’un tissu épais (serviette, vêtement,…) projeté sur l’oiseau.
- Il sera maintenu les ailes collées au corps et la tête cachée.
- Déposer l’oiseau ensuite dans un carton préparé préalablement : choisir un modèle adapté à la taille de l’oiseau (éviter un modèle trop grand où l’oiseau serait balloté pendant le transport). Percer quelques trous pour l’aération (éviter les ouvertures trop grandes) et placer du papier journal dans le fond. Bien refermer le carton et coller dessus une feuille mentionnant l’indication « oiseau vivant », « ne pas ouvrir », « manipuler avec précautions ». Joindre au carton une feuille de renseignement (lieu, date et conditions de découverte de l’oiseau,…).
- Emmener l’oiseau vers une structure de soins habilitée ou téléphoner à la LPO
Deuxième étape : LES PREMIERS SOINS D’URGENCE
Les oiseaux mazoutés qui arrivent dans les centres de soins présentent des signes constants et alarmants de détresse générale. Les principaux symptômes rencontrés chez ces oiseaux sont la déshydratation, l’hypothermie, la fatigue, le stress et la perte importante de poids. Ces troubles graves nécessitent la mise en œuvre immédiate de soins et de traitements d’urgence vitaux pour la survie de ces oiseaux.
Bien avant toute tentative de démazoutage, priorité est donnée à la lutte contre l’état de choc. Les soins sont prodigués en suivant un protocole bien défini, basé sur l’expérience malheureusement acquise lors des précédentes catastrophes pétrolières et éprouvée par la suite dans les centres de sauvegarde permanents où sont soignés des oiseaux régulièrement victimes de dégazages illicites.
Ce protocole suit les étapes suivantes :
L’enregistrement et la rédaction d’une feuille de suivi de l’oiseau : la plupart des oiseaux accueillis dans les structures de soins sont des espèces protégées par la loi. Tout oiseau (mort ou vivant) doit être enregistré dans un registre spécifique qui peut-être contrôlé par les autorités compétentes. Cet enregistrement est également l’occasion de poser une bague provisoire sur l’oiseau (couleur et numéro sont référencés dans le registre) afin de pouvoir plus facilement identifier l’oiseau par la suite.
Des prélèvements peuvent ensuite être effectués afin d’orienter, si besoin, le traitement à venir de l’oiseau. Des autopsies et des prélèvements sont faits sur les oiseaux morts.
Les premiers soins sont alors donnés :
- Nettoyage des narines, des yeux, à l’aide de coton tiges et des parties très mazoutés du corps, à
- l’aide de papier absorbant afin de retirer un maximum d’hydrocarbures.
- Réhydratation rapide par voie orale avec des solutés glucosés et salés, pansement intestinal, administration d’une association de charbon actif et d’argile pour lutter contre les intoxications dues à l’ingestion de pétrole (les oiseaux mazoutés essayent de se toiletter, lissent leurs plumes avec leur bec et absorbent ainsi du pétrole).
- Injections de fer pour lutter contre l’anémie ; de protecteurs hépatiques pour combattre l’atteinte du foie et des reins ; et d’antibiotiques adaptés à la lutte contre les germes opportunistes contaminant les oiseaux affaiblis.
- Evaluation de la fonction alimentation (mange-t-il seul ou non ?) et nourrissage.
Une fois ces mesures d’extrême urgence effectuées en douceur et dans le silence pour éviter de stresser davantage l’oiseau, celui-ci est placé avec ses congénères dans un milieu chauffé et calme.
Troisième étape : LA REMISE EN FORME
L’objectif de cette étape est de nourrir l’oiseau pour lui faire reprendre du poids avant de pouvoir le laver sans qu’il soit épuisé. A ce stade, l’oiseau encore affaibli est plus sensible aux maladies opportunistes qui profitent de son mauvais état général pour se développer (aspergillose). D'autres affections décelées sont des irritations cutanées et oculaires (traitées à l’aide de pommades et de gels protecteurs), des plaies aux palmures et aux tarses dues à un trop long séjour hors de l'eau (traitées par désinfection et pommades cicatrisantes), des entérites, des troubles respiratoires... Une remise en question permanente et des examens précis (autopsie lors de mortalité suspecte et analyses biologiques si besoin) permet d’adapter les traitements aux pathologies rencontrées.
Le principal objectif de ces soins est de stabiliser le plus rapidement possible l’état général des oiseaux afin de leur permettre de reprendre un poids correct et d’affronter le stress du démazoutage.
Les oiseaux marins mangent en moyenne 3 à 5 poissons (sardines, sprats, maquereaux) par jour, selon les espèces et leur poids. Les poissons peuvent être frais ou congelés.
Selon l’état de santé de l’oiseau il existe 4 méthodes de nourrissage :
- Le gavage de l’oiseau par sonde : une sonde est introduite dans l’œsophage de l’oiseau, puis une bouillie lui est administrée à l’aide d’une seringue.
- Le gavage manuel : des poissons entiers sont introduits la tête la première dans l’œsophage de l’oiseau.
- La sollicitation : des poissons entiers, tenus par la nageoire caudale, sont présentés devant le bec de l’oiseau afin qu’il s’en saisisse « naturellement ».
- L’autonomie : des poissons sont mis à disposition dans des récipients en plastique de faible hauteur. Les poissons sont recouverts d’eau afin qu’ils ne se dessèchent pas.
Quatrième étape : LE LAVAGE/LE DEMAZOUTAGE
Les oiseaux sont ensuite démazoutés un par un, à la main ou à l'aide d'une machine spécialement conçue. L’oiseau est généralement pris en charge par deux personnes. Il est immergé dans une cuvette d’eau tiède. Avec des gestes précis, les opérateurs lavent le plumage avec un détergent à usage vétérinaire. Les plumes sont nettoyées avec méticulosité afin d’éliminer tout le pétrole qui s’est incrusté jusque dans le duvet. Plusieurs cycles de lavage sont parfois nécessaires et l’eau doit être très fréquemment renouvelée.
Pour une meilleure efficacité, il est nécessaire de maintenir l’oiseau immergé mais il faut toujours veiller à ce que sa tête reste hors de l’eau afin d’éviter tout risque de noyade. Pour certaines grandes espèces (fou de Bassan, plongeons...) il faut 3 ou 4 opérateurs. La manipulation de l’oiseau durant le démazoutage doit avoir fait l’objet d’une démonstration et d’un apprentissage indispensable lorsqu’elle est confiée à des bénévoles.
- La sélection des oiseaux pouvant être lavés est effectuée par le vétérinaire ou le soigneur selon 5 critères :
- Le comportement : tonicité (oeil vif, port de tête droit,…) ; comportement social (toilettage,
- cris de contact,…) ; réaction aux stimulis visuels et sonores.
- L’alimentation autonome
- L’état de santé général : l’oiseau ne doit pas présenter de problème particulier de santé
- (lésions aux pattes, problèmes respiratoires,…)
- Le poids : la courbe de poids de l’oiseau doit être située dans une dynamique croissante et le
- poids compris dans la fourchette établie selon l’espèce.
- Les prises de sang : des examens sanguins peuvent être effectués afin de réaliser un bilan de
- santé.
L’oiseau est lavé dans une cuvette adaptée à sa taille, remplie d’eau claire à 40-41°C (leur température corporelle) et contenant un peu de produit de lavage. Un gel protecteur résistant à l’eau peut-être déposé sur les yeux afin de limiter les agressions dues au shampoing.
Les narines, le contour du bec et l’intérieur du bec sont nettoyés avec un bâtonnet à oreille humide. L’oiseau est immergé (sauf la tête) dans la bassine. Le nettoyage s’effectue par projection d’eau, par trempage et par mouvement de l’eau à travers les plumes. Le massage du plumage est néanmoins nécessaire pour dissoudre les tâches « rebelles ». L’eau de lavage est renouvelée dès qu’elle est chargée en hydrocarbures ou dès que sa température est inférieure à 40°C.
L’opération de lavage est répétée de façon à obtenir un plumage parfaitement propre ; elle dure en moyenne 1 heure.
Cinquième étape : LE RINCAGE
Lorsque toute trace de pétrole à disparu du plumage, l’oiseau est abondamment rincé, notamment avec un jet d’eau tiède afin d’éliminer toutes traces de produit de lavage. L’oiseau est d’abord rincé sommairement dans une ou deux bassines d’eau claires, toujours à 40-41°C. Puis à l’aide d’une douchette adaptée, avec une pression suffisante permettant de soulever les plumes, on rince de la tête vers la queue à rebrousse plume. Cette étape est primordiale pour l’étanchéité du plumage.
Le rinçage ne se fait donc pas sur le même lieu que le lavage (éviter de nouvelles souillures d’hydrocarbures). Aucune partie du corps ne doit être oubliée et il faut rincer en permanence les mains des manipulateurs. En fin de rinçage, les gouttes d’eau perlent à travers le plumage qui reprend déjà du « gonflant ». L’oiseau doit être presque sec mais son plumage n’est pas encore imperméable à ce stade. Le rinçage dure en moyenne 15 minutes (pour un guillemot).
Sixième étape : LE SECHAGE
L’objectif est désormais de sécher complètement le plumage de l’oiseau. Le séchage se déroule en deux étapes :
- La phase de séchage à température élevée :
Certaines fois une pommade ou un gel oculaire est appliqué afin d’éviter un dessèchement trop important de la cornée. Les oiseaux sont placés en box à une température ambiante d’environ 20°C, avec une ventilation suffisante et régulière. Si nécessaire, des chauffages soufflants peuvent être utilisés afin d’obtenir une température située entre 25 et 30°C. La durée du séchage varie en fonction de l’espèce et de la densité du plumage. A titre d’exemple, il faut environ 1 demi-journée pour un Guillemot et 1 journée pour un Eider. Au cours de cette phase et tant que le plumage n’est pas sec, les oiseaux ne reçoivent pas de nourriture (pour éviter des souillures du plumage).
- La phase de réadaptation à température ambiante :
Les oiseaux restent en box, à température ambiante pendant 2-3 heures à une journée, afin d’éviter les chocs thermiques, à leur arrivée en piscine. Au cours de cette phase, les oiseaux sont nourris par sollicitation ou de façon autonome.
Septième étape : LA REHABILITATION EN PISCINE
Les oiseaux qui ont survécu à toutes ces épreuves sont alors transférés dans des piscines où ils resteront de quelques jours à quelques semaines, temps indispensable pour récupérer l’imperméabilité de leur plumage, avant d’être définitivement libérés. Une pesée régulière des oiseaux, une surveillance constante de leur état général, et une nourriture abondante et de qualité sont essentielles pour garantir leur retour dans leur milieu naturel.
L’objectif est de permettre aux oiseaux lavés de retrouver la complète imperméabilité de leur plumage, ainsi qu’une condition physique optimale pour le relâcher.
Cette étape se déroule en deux phases :
- Le suivi de l’imperméabilité des oiseaux :
Les oiseaux en piscine doivent passer un maximum de temps dans l’eau et la surveillance de leur évolution doit être constante.
Tous les oiseaux qui vivent sur l'eau doivent avoir un plumage en parfait état. En effet, c'est lui qui va permettre à l'oiseau de flotter et qui va empêcher l'eau froide d'atteindre son corps dont la température est voisine de 42°. Pour assurer cette parfaite étanchéité, les oiseaux marins, mais aussi bon nombre d'autres espèces, possèdent une glande uropygienne. Elle se situe, au sommet de la queue, juste au dessus du croupion. Cette glande a la forme d'un petit mamelon. Chez certaines espèces, elle est entourée de plumes spéciales qui jouent le même rôle que la mèche d'une lampe à huile. Une matière cireuse est secrétée à l'intérieur de la glande. L'oiseau en stimule la sécrétion en massant la glande à l'aide de son bec ou en y frottant sa tête. L'oiseau peut ensuite répandre cette graisse sur l'ensemble de son plumage. Elle protègera ainsi les plumes contre le dessèchement, mais surtout contre la pénétration de l'eau. La structure moléculaire de cette graisse est telle qu'il est possible de recouvrir la totalité du plumage, sans la moindre lacune, d'une fine couche huileuse. Les oiseaux de mer, à l'image du guillemot de Troïl, utilisent leur tête comme un "pinceau" pour répandre l'huile sur leur dos et leurs flancs.
La moindre trace de pétrole sur le plumage va rompre ce parfait ensemble, créant une brèche comme dans la coque d'un navire. Un phénomène aggravé par l'action du pétrole qui peut détruire la structure de la plume. L'oiseau va peu à peu s'enfoncer dans l'eau, s'affaiblir pour lutter contre le refroidissement, puis finir par mourir si personne ne lui vient en aide.
- Le nourrissage :
Il doit faire l’objet d’une attention particulière, afin de s’assurer que tous les oiseaux mangent. Les poissons sont donnés dans des râteliers ou des bassines disposés sur les plages de repos des oiseaux, et non dans l’eau. Les poissons peuvent être « enrichis » avec des complexes vitaminiques (B12,…). Des poissons vivants peuvent être mis à disposition des oiseaux afin de les inciter à chasser et à nager. Cette méthode permet notamment une meilleure rééducation musculaire.
Huitième étape : LE RELACHER
La sélection des oiseaux pouvant être relâchés est effectuée par le vétérinaire et le responsable du centre selon 5 critères :
- La flottabilité (imperméabilité à 100 %) : la ligne de flottaison de l’oiseau (environ à 2 cm en dessous du bord de l’aile pliée) ; l’eau perle sur l’ensemble du plumage ; l’ensemble du plumage reste sec ; l’oiseau doit pouvoir rester en permanence sur l’eau (sans plage ni radeau, ni île) pendant 1,5 jours.
- Le comportement : tonicité (œil vif, port de tête droit,…) ; comportement social (toilettage, cris de contact,…) ; réaction aux stimuli (visuels, sonores,…).
- L’état général : l’oiseau ne doit pas présenter de problème particulier de santé (lésions aux pattes, problèmes respiratoires,…).
- Le poids : la courbe de poids de l’oiseau doit être située dans une dynamique croissante et le poids compris dans la fourchette établie selon l’espèce.
- Les prises de sang : des examens sanguins peuvent être effectués afin de réaliser un bilan de santé.
La veille du relâcher, les oiseaux subissent des mesures biométriques puis sont bagués avec des bagues en métal. Cette bague, carte d’identité de l’oiseau, permet aux soigneurs et aux biologistes d’étudier notamment les migrations et de suivre le devenir de l’oiseau. Après avoir sélectionné le site le plus approprié (absence de pollution, proximité d’un Centre de Soins, météorologie, etc.), les oiseaux sont, si possible, relâchés tôt le matin, dès le lever du soleil, afin de leur laisser un maximum de temps pour se repérer, se toiletter avant la tombée de la nuit et pour permettre une éventuelle récupération. Une surveillance est assurée après le relâcher. De même le lendemain, un tour de côte et des alentours, est effectué afin de vérifier qu’aucun oiseau ne s’est échoué.