Caractériser l’exploitabilité des enregistrements
Caractériser l’exploitabilité des enregistrements
Terme nouveau dans le milieu de la nocmig, l’exploitabilité désigne tout simplement la proportion d’une piste qui peut être exploitée d’un point de vue acoustique, c’est-à-dire durant laquelle il est possible de détecter convenablement des cris d’oiseaux. Si vous saisissez à l’heure, il s’agit donc d’estimer quel pourcentage de cette heure est suffisamment peu bruité pour que la détection de cris de migration nocturne soit possible. Si vous saisissez à la nuit, il vous suffit de rentrer une seule valeur globale. Il s’agit d’une estimation grossière, dont les variations à 5% ou 10% auront peu d’incidence sur le résultat : le principal est de donner une approximation de la pression d’observation pour corriger les biais lors des analyses a posteriori. Et oui, 10 cris de grive musicienne sur une nuit très ventée dont on a pu analyser que 5%, ce n’est pas du tout la même chose que 10 cris sur une nuit complète exploitable à 100% !
Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de pistes partiellement ou entièrement inexploitable. Ils peuvent être abiotiques (vent, pluie, tonnerre) ou biotiques (amphibiens, orthoptères, chorus matinal, aboiements de chiens, voix humaines). Parmi ces facteurs, certains peuvent couvrir des plages de fréquences précises. Par exemple, les grenouilles du genre Pelophylax couvrent des fréquences assez basses, généralement comprises entre 1 et 3kHz tandis qu’un chorus matinal de Merle noir, Rougequeue noir et Rougegorge familier couvrira une plage de fréquence plutôt située entre 2 et 6kHz. Les orthoptères peuvent striduler à de nombreuses fréquences différentes mais la gêne la plus commune dans le cadre de la nocmig est l’existence d’une bande sombre au-delà de 6kHz. Dans ces situations où certaines plages de fréquences sont noires/sombres et le reste est exploitable, l’évaluation de l’exploitabilité est délicate et reste à l’appréciation de l’observateur : elle dépend de la proportion de cris qui pourraient être masqués et donc du cortège d’espèces potentielles, qui varie dans l’année. Par exemple, une telle bande sombre au-dessus de 7kHz au mois d’octobre aura un impact important en masquant la plupart des gris de grive musicienne ou mauvis, hauts en fréquences. En juillet, par contre, peu d’espèces attendues en nocmig sont susceptibles de crier au-dessus de 7 kHz, et l’impact est négligeable. En revanche, un bruit parasite fort entre 2 et 5kHz sera impactant toute l’année car de très nombreuses espèces crient dans ces fréquences.
Si jamais votre enregistrement venait à commencer après le crépuscule civil ou à se couper avant l’aube civile, il est indispensable de compter le temps non enregistré comme du temps non exploitable et de le prendre en compte dans l’évaluation de l’exploitabilité totale de votre nuit. De la même manière, dans le cas de conditions météorologique très mauvaises qui résulteraient en une exploitabilité très basse, on préfère parfois ne pas perdre de temps à analyser l’enregistrement : là encore les périodes non-analysées sont à comptabiliser comme non-exploitables.
L’évaluation de l’exploitabilité peut se faire en visualisant quelques secondes une piste entière dézoomée ou après l’avoir analysée . Voici quelques exemples de pistes permettant de se calibrer pour qualifier ses propres enregistrements.
Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.
Sur cette piste entière au-dessus, le bruit de fond semble assez uniforme, sans perturbation majeure. Le bruit du vent est devient plus perceptible autour de 2:30:00 mais en zoomant sur cette partie, on observe que l’impact du vent sur la lisibilité des pistes est plutôt mineur. L’exploitabilité totale de la piste est de 100%.
Sur cette piste, la première moitié est complètement exploitable tandis que la seconde partie est plus sombre, à cause du bruit du vent encore une fois. En zoomant sur une zone assez sombre, on observe que l’impact du vent est notable mais qu’il sera quand même possible de détecter des cris d’oiseaux, notamment les plus puissants. L’exploitabilité totale de la piste est de 75%.
La piste totale est très impactée par des orthoptères : ligne sombre entre 3 et 3.5kHz, zone sombre au-dessus de 6kHz. Plus tard, le vent s’ajoute aux orthoptères et ces deux perturbations rendent une grande partie de la piste totale inexploitable. Lorsque l’on zoome sur la première partie où l’impact du vent est plus minime, la piste semble partiellement exploitable. L’exploitabilité totale de la piste est estimée à 10%.
Cette piste est partiellement inexploitable à cause de voix humaines à proximité immédiate du micro. Les harmoniques des voix, visibles sur le zoom sur 30 secondes, rendent les ¾ de la piste inexploitables, le pourcentage est donc de 25%.
Ici, cette piste est complètement inexploitable à cause du vent puissant. Même sur le zoom sur 30 secondes, la saturation est trop importante pour y détecter des cris, le pourcentage d’exploitabilité de la piste entière est donc de 0%.
Sur la partie gauche de ce zoom sur 30 secondes, la pluie très forte rend l’enregistrement inexploitable et sur cette portion, l’exploitabilité est de 0%.
Sur la partie droite, la pluie est légère et n’impacte pas la détection des cris et sur cette portion, l’exploitabilité est de 100%.
Sur ce zoom sur 30 secondes, le vent fait saturer le micro ce qui résulte en quelques bandes blanches de largeurs variables sur le sonagramme. Bien que la saturation puisse empêcher la détection de certains cris, la majorité des cris peuvent être cependant détectés dans cette situation. Une nuit entièrement impactée de la même façon que cet extrait aurait un pourcentage d’exploitabilité de 90%.
Sur ce zoom, les stridulations des orthoptères forment une bande très sombre à partir de 8.5kHz. Au-dessous, des bandes verticales rendent l’analyse du sonagramme plus difficile mais celle-ci reste totalement réalisable. Cet enregistrement ayant été réalisé début août en France, peu d’espèces ayant des cris au-dessus de 8.5kHz sont susceptibles de vocaliser au-dessus du micro et l’impact des orthoptères à cette saison-là est donc plutôt mineur. Une nuit entièrement impactée de la même façon que cet extrait aurait un pourcentage d’exploitabilité de 90%, pour tenir compte de la gêne occasionnée par le « bruitage » présent sur l’ensemble des fréquences.