Des espaces laissés à la nature
« La nature reprend ses droits ». C’est au départ, semble-t-il, le constat d’un « défaut » de maîtrise de la part de l’homme qui autorise cette conséquence finalement favorable à la biodiversité.
Ces endroits où la nature reprend ses droits, on les nomme souvent « délaissés » avec une connotation plutôt négative. Ces délaissés sont la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Ils peuvent concerner les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes, tourbières, mais aussi les bords de route, rives, talus de voies ferrées, … Avec les réserves naturelles, cette somme d’espaces constitue ce que le paysagiste, Gilles Clément, appelle le Tiers-paysage.
Le Tiers-Paysage intéresse l’acteur de l’aménagement parce qu’il l’amène à inclure dans le projet une part d’espace non aménagé ou encore à désigner comme espace d’utilité publique les délaissés que génère, quoi qu’on fasse, tout aménagement. « Il invite à considérer le non-aménagement comme un principe vital par lequel tout aménagement se voit traversé des éclairs de la vie. » (Gilles Clément, Manifeste du Tiers-paysage)
Comparés à l’ensemble des territoires soumis à la maîtrise et à l’exploitation de l’homme, ces délaissés constituent l’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique. Les villes, les exploitations agricoles et forestières, les sites voués à l’industrie, au tourisme, à l’activité humaine sont des espaces de maîtrise et de décisions qui sélectionnent la diversité et parfois l’excluent totalement. Le nombre d’espèces recensées dans un champ, une culture ou une forêt gérée est faible en comparaison du nombre recensé dans un délaissé qui leur est attenant.
Considéré sous cet angle, le Tiers-paysage apparaît comme le réservoir génétique de la planète, l’espace du futur… Il invite ainsi tout un chacun à laisser volontairement des espaces à la disposition de la nature et à s’intéresser à ce qui s’y développe spontanément. Ce qui, soit dit en passant, reste la solution la plus économique et la plus écologique.
Des espaces verts écologiques
Pendant longtemps, les espaces verts étaient des espaces de nature contrôlés par l’homme dans la ville. De naturel, ils n’avaient que l’apparence… et la couleur verte. Ainsi, les espèces plantées étaient souvent d’origine exotique ou horticole, les gazons tondus à 4 cm toutes les deux semaines, les engrais et pesticides abondamment épandus et la moindre « mauvaise herbe » traquée.
Les espaces verts écologiques prônent des objectifs très différents où l’esthétique et la pratique sont en adéquation avec la préservation de la biodiversité.
Voici quelques règles :
- Renoncer à l’usage des produits chimiques (pesticides) et engrais de synthèse pouvant être remplacés par des engrais naturels, dans un objectif autant de préservation de la biodiversité que de santé publique ou de coût.
- Favoriser des espaces verts attractifs pour l’homme et les animaux par une diversité des milieux et des espèces
- Adopter des modes de gestion limitant les impacts sur l’environnement : gestion économe de l’eau, recyclage des déchets organiques...
Quelques aménagements d’un espace vert écologique
Un espace riche et varié permet une plus grande biodiversité. C’est sur ce postulat qu’il est recommandé de varier, autant que possible, les habitats grands ou petits dans un espace vert. Voici un tour d’horizon des principaux aménagements pour la biodiversité :
Les espaces ouverts
Les pelouses et les gazons sont des zones où les usages et les intérêts écologiques peuvent être extrêmement variables. Une gestion par tontes différenciées de ces espaces semble indispensable.
Pour favoriser des herbes plus hautes à un stade de prairie, on procède à une gestion de type « fauche écologique » (hauteur de coupe à 10 cm) avec exportation des déchets en vue d’appauvrir le sol pour augmenter la diversité floristique. On distingue :
- la prairie avec fauchage précoce entre le 15 mai et le 15 juin ; elle nécessite alors trois fauches annuelles,
- la prairie avec fauchage traditionnel en deux fauches annuelles,
- la prairie avec fauchage tardif, la plus intéressante pour la faune (oiseaux et insectes), avec deux passages maximum : un à la mi-juillet et un autre en octobre.
On peut également orienter les types floraux de la prairie en fonction des ambiances souhaitées.
On réalise pour cela des semis de prairie fleurie orientés vers des espèces prédéfinies en privilégiant toujours les espèces locales. On choisira des grainetiers et semenciers professionnels proposant des mélanges sans espèces horticoles ou exogènes, bien diversifiés et adaptés au sol local.
La technique du semis est cependant à éviter quand il existe déjà un sol constitué avec sa banque de graines. Il existe une grande variété de mélanges. Nous pouvons citer pour exemple :
- prairie fleurie mellifère : fleurs riches en pollen orientées pour les pollinisateurs
- prairie fleurie nectarifère : fleurs riches en nectar favorables aux papillons
- prairie champêtre : plantes d’affinités messicoles
- prairie d’altitude : plantes adaptées au milieu de montagne
- prairie sèche : plantes adaptées à la sécheresse
- prairie à sols spécifiques : mélange adapté aux sols (calcaire, acide, argileux...)
L’ensemble de ces techniques est à utiliser dans un système de rotation des types prairiaux et de manière différenciée. Il est également important de conserver pour la faune des zones refuges, îlots de végétation non fauchés.
Diversification et stratification végétale
Au-delà des espaces ouverts, une stratification verticale de la végétation est primordiale avec des plantations d’espèces ligneuses de type buissonnant ou arborescent. On veillera à choisir des associations d’espèces en fonction :
- de la stratification verticale de la végétation : buissons, arbustes, arbres et lianes où chaque niveau de végétation offre des conditions pouvant être spécifiques à une espèce
- de l’étalement de la floraison et de la fructification tout au long de l’année comme ressources pour la faune par un choix varié d’essences
- de la conservation, dans la mesure du possible, des arbres morts sur pied ou au sol.
Pour toutes les plantations, herbacées ou ligneuses, on veillera à choisir des espèces végétales locales non horticoles bien adaptées au sol.
Murets
Les murets de séparation sont favorables à la biodiversité lorsqu’ils présentent des interstices, voire des cavités, pouvant être utilisés par la petite faune (oiseaux, lézards, insectes...). On privilégiera pour cela les murets non maçonnés de type pierres sèches, ou on percera des parpaings (en l’absence de contraintes thermiques ou physiques) pour aménager des loges.
Points d’eau
La présence d’eau est particulièrement importante pour la faune (boire, se baigner), et elle contribue également à créer un milieu extrêmement riche. La diversité de la faune et de la flore s’en trouve alors profondément augmentée. Ces points d’eau peuvent être très variés en forme, taille et profondeur. Bien qu’une plantation initiale soit possible après création, l’ensemencement naturel peut être très rapide, aussi bien par la flore que par la faune.
Plantes anciennes
La préservation de la biodiversité peut également s’exprimer par la conservation d’espèces végétales anciennes et prendre alors plusieurs formes :
- plantation d’arbres fruitiers de variétés anciennes et régionales
- utilisation de variétés anciennes de légumes, de petits fruits...
- plantation de variétés aromatiques, médicinales, tinctoriales (teintures) et d’inspiration médiévale.
Tonnelles et pergolas
Souvent développés dans les cours intérieures afin d’offrir des espaces ombragés et végétalisés, ces aménagements de jardin peuvent être très intéressants pour la faune (plantes attractives avec pollen, nectar, baies...). De nombreuses plantes grimpantes peuvent être associées, dont de nombreuses espèces sauvages : lierre, vigne, jasmin, chèvrefeuille, clématite…
Des zones d’accueil
En ville, la rareté et la pauvreté de la strate arborée peuvent conduire, pour la faune, à un manque d’endroits favorables pour nicher, gîter ou s’abriter. Les cavités ou les interstices des bâtiments peuvent être des lieux de substitution intéressants. Cependant, beaucoup de ces trous sont colmatés à l’occasion de la réfection des bâtiments. La pose de nichoirs, gîtes ou abris pour la faune sauvage peut compenser le manque de cavités naturelles.
Les nichoirs : ce sont des lieux de substitution pour certaines espèces d’oiseaux utilisés pendant la période de reproduction. Il en existe une grande variété à installer dans les espaces verts (arbres, tonnelles, murets…) ou les bâtiments proches. On installera des nichoirs pour les oiseaux cavicoles (mésanges, moineaux, sittelle…) ou semi-cavicoles (rougequeues, rougegorges…) entre 2,5 et 3,5 mètres de hauteur en favorisant une orientation sud-est. On veillera à les installer de façon à ce qu’ils ne soient pas accessibles aux prédateurs (chats particulièrement).
Les gîtes : contrairement aux nichoirs, les gîtes ne servent pas obligatoirement à la reproduction mais peuvent servir de sites de repos pour des durées plus ou moins longues. En ville, les chauves-souris, les hérissons mais aussi les insectes peuvent profiter de gîtes préinstallés.
Les abris : ils servent essentiellement à se protéger des intempéries ou des rigueurs de l’hiver. Il en existe de très nombreux pour les insectes utiles dans les espaces verts : coccinelles, papillons, chrysopes, forficules, bourdons, abeilles solitaires...
Les passages : pour faciliter la circulation des petits mammifères, on peut prévoir des aménagements afin d’éviter les dangers dus aux déplacements. Pour les hérissons, on prévoira des passages au sol de 10 cm de hauteur sur les limites de propriété (mur, cloison, grillage...) pour permettre la circulation sur le territoire. Pour les écureuils, des cordes tressées tendues entre deux arbres traversant les rues, peuvent contribuer à limiter les risques d’écrasement.