La vie secrète des graines
Les graines font partie de notre alimentation et de celle de nombreux animaux. Elles sont produites par les plantes terrestres appelées spermatophytes regroupant 380 000 espèces sur Terre. Au-delà de l’aspect nourricier, le tout premier rôle de la graine est d’assurer la pérennité de la plante. Mais elle a également été monnaie d’échange ou parure dans diverses civilisations, et la longévité de certaines espèces est étudiée par les scientifiques. Petit tour d’horizon du fonctionnement, des utilisations et des voyages de la graine.
Qu'est-ce qu'une graine ?
La graine est un ovule fécondé chez les spermatophytes (plantes à graines). Elle est souvent entourée d’un tissu de réserve, le fruit. La graine contient une plante en miniature, l’embryon, qui vit au ralenti, protégé par son enveloppe appelée tégument. Elle dispose de réserves de nourriture, tissu nutritif appelé albumen, qui lui permettront de germer dès que les conditions sont favorables.
La graine est un organe dormant de la plante qui est apte, après germination, à reproduire un nouvel individu.
Fonctionnement
La graine permet à la plante de survivre à de mauvaises conditions. Sous les climats tempérés, la graine entre en dormance en hiver. L’exposition au froid pendant plusieurs semaines est nécessaire pour qu’elle puisse reprendre sa croissance et germer au printemps suivant : ce processus est appelé la vernalisation. La graine permet ainsi à la plante d'échapper aux conditions hostiles de l’hiver.
Certaines graines voient leur germination stimulée après un bref passage dans le tube digestif des animaux. C’est par exemple le cas des graines du gui (Viscum album) rejetées dans les fientes de la grive draine. D’autres végétaux ont besoin du passage du feu (plantes pyrophytes) pour libérer leurs graines comme les Protéacées, une famille d’arbustes des zones arides d’Afrique du Sud, d’Asie du Sud-Est et d’Amérique du Sud. Après les incendies de brousse, leurs graines sont libérées pour repeupler les zones brûlées.
Mode de dispersion des graines
Pour assurer leur dispersion et leur pérennité, les plantes ont développé différentes stratégies de transport des graines. Certaines utilisent le vent, d’autres le transport par l’eau ou les animaux… Chaque stratégie de dissémination est désignée par un terme écologique spécifique :
Anémochorie
L’anémochorie désigne le transport des graines par le vent. Pour cela, les graines peuvent porter une aigrette, sorte de petite plume très légère, comme l’akène du pissenlit. D’autres possèdent des ailettes comme les samares de l’érable ou du frêne. Chez le tilleul, la graine, unique, est entourée d’une capsule munie d'une bractée en forme d'aile. D’autres encore possèdent des poils. Au premier coup de vent, les graines s’envolent sur des dizaines, voire des centaines de mètres !
Hydrochorie
Il s’agit du transport des graines par l’eau. Cela concerne essentiellement les plantes aquatiques qui laissent le vent pousser la graine sur l'eau. C’est le cas de l’iris des marais, aux grandes fleurs jaunes, dont les graines, contenues dans une capsule à trois compartiments, peuvent flotter durant 12 mois tout en gardant leur pouvoir germinatif.
Dans les zones tropicales, le fruit du cocotier voyage avec les courants marins. La noix de coco emprisonne de l’air dans son fruit pour pouvoir flotter, et peut ainsi voguer sur de longues distances, ce qui a favorisé sa propagation dans différentes îles de l'océan Pacifique.
Zoochorie
Certaines graines disposent de fixations comme des crochets, des épines ou des substances adhésives afin de s’accrocher au pelage ou au plumage des animaux (ectozoochorie). Ceci permet leur dispersion sur de longues distances comme les graines de la benoîte. Quand la graine est spécifiquement disséminée par les oiseaux, on parle d’ornithochorie.
Un exemple fort bien connu est le fruit de la bardane qui possède des crochets pour s’accrocher solidement au pelage des animaux mais aussi à nos vêtements et lacets de chaussures !
Autochorie
L’autochorie concerne les plantes qui dispersent elles-mêmes leurs graines, généralement par éjection mécanique. C’est le cas du genêt (Cytisus sp.) dont les graines sont enveloppées dans des petites cosses. Quand les cosses sont mûres, elles deviennent si sèches au soleil qu'elles éclatent quand un insecte se pose dessus. Les graines sont alors éparpillées autour du pied de la plante.
Rôles et utilisations des graines
Les graines ont eu des usages et des valeurs multiples selon les époques et les régions du monde. Elles sont bien sûr sources de nourriture lors de cueillettes sauvages, et ce, depuis le Paléolithique, période à laquelle l’homme préhistorique devient chasseur-cueilleur. Des fouilles archéologiques ont pu mettre en évidence des restes de repas d’hommes préhistoriques comme des graines de vesce amère (Vicia ervilia), de pois chiche (Lathyrus spp.), de pois sauvage (Pisum spp.), des graines de moutarde, de pistache…
Les plantes à graines ont marqué l’histoire de l’humanité dans le choix de domestication de certaines espèces : les grains de maïs, de riz et de blé ont été sélectionnés pour choisir les variétés les plus productives et résistantes qui constituent aujourd’hui des semences. La sélection est parfois poussée à l’extrême avec l’apparition de semences non-reproductibles car soumises à une forme de « droits d’auteurs » et donc la reproduction ou la réutilisation est soumise à une rémunération.
Outre le rôle alimentaire, les graines ont de tout temps été utilisées pour confectionner des parures dans diverses civilisations et ce, encore aujourd’hui. Les graines rouges et noires du canonnier (Ormosia sp.) servent à fabriquer des colliers dans tout le bassin amazonien. En Chine, on trouve des coques de noix (Juglans sp.) finement sculptées en figurines de Bouddha alors que les graines de lotus servent à la confection de chapelet bouddhiste. Le chapelet chrétien est parfois constitué de noyaux d’olive en Méditerranée.
En Australie, les Aborigènes sculptent les fruits d’une espèce de baobab dont la majorité des représentants poussent en Afrique. Le nom baobab vient d’ailleurs d’un terme arabe signifiant « fruit à nombreuses graines ».
En Nouvelle Guinée ce sont les graines de Canarium indicum qui sont sculptées en petits masques. D’autres comme celles du ginkgo biloba sont transformées en petits animaux colorés par les artisans en Asie. Et, plus près de nous, les glands du chêne sont parfois transformés en petites figurines.
Conclusion
La graine est un symbole de fertilité et d’abondance. Elle constitue notre base alimentaire mais elle est également un marqueur culturel des sociétés humaines et fait l’objet de mythes et de légendes.
La graine assure la pérennité de la plante, sa longévité, en contenant son patrimoine génétique. Des graines de palmier-dattier âgées de plus de 2 000 ans (IRD, 2020), retrouvées sur des sites archéologiques en Irak et en Syrie ont ainsi germé. Elles permettent aujourd’hui aux chercheurs de comparer les génomes de ces plantes. C’est également la raison pour laquelle des jardins botaniques constituent des grainothèques, afin de conserver des plantes en voie de disparition ou très rares.
Or, d’après l’UICN plus de 20 % des espèces végétales sont menacées d’extinction. Les perdre pourrait priver nos sociétés humaines de services indispensables : les plantes étant source de nourriture, mais aussi de molécules thérapeutiques. Sans même parler de la mise en danger d’écosystèmes entiers !
Plus proche de nous, dans nos jardins, les graines font l’objet de trocs et d’échanges, permettant de diversifier nos plantations. Ces échanges entre jardiniers ou encore ces collectes de graines dans la nature sont une façon de s’attacher à semer des végétaux indigènes, adaptés à nos régions et climats. Enfin, rappelons-nous que la biodiversité dépend – aussi - des graines des plantes sauvages qu’on laisse s’exprimer dans nos jardins et terrains !
Les graines sont des promesses de fleurs, de fruits, d’aliments, de médicaments… Des promesses de vie en somme ! Sachons respecter les graines qui donneront les futures plantes.
Bibliographie : Les graines et leurs usages – Vidal N. (2019) – Editions Delachaux et Niestlé.