LPO | Pour quelles raisons vous êtes-vous engagé dans la démarche Refuge LPO ?
Jacques L. | Depuis l’enfance j’adhère à la notion qu’il faut impérativement protéger ce qui peut l’être, respecter le vivant. Ma propriété est un Refuge LPO depuis plus de 20 ans et je n’ai aucun regret, c’est un bonheur ! Il me semble que c’est une bonne porte d’entrée pour s’impliquer, matérialiser nos actes, se fixer des objectifs et apporter sa pierre à l’édifice qu’est la protection de la nature. Chacun y va de ses envies, de ses convictions et moyens… la Charte des Refuges n’est pas une contrainte mais plutôt un engagement moral qui pousse chacun à réfléchir et à agir au mieux.
LPO | Quelles sont les principales actions que vous avez mises en place pour protéger la biodiversité ?
Jacques L. | D’abord, ne rien faire, observer… laisser passer une, deux ou plusieurs années. Les plantes spontanées ou vivaces, insectes, mammifères et amphibiens ne sont pas immédiatement visibles ou identifiables. Il serait idiot de les bécher et de les faire disparaître sans les avoir repérés et surtout protégés, sous prétexte d’y faire pousser rapidement un désert végétal nommé pelouse !
Puis, progressivement aménager au regard de la pyramide écologique. Le végétal va favoriser l’animal, une fois que celui-ci sera mort, nourrissant au passage un quelconque prédateur, le cycle recommencera. Pas de graine = pas de granivore, pas d’insecte = pas d’insectivore ! Nous aussi faisons partie de cette chaîne, ne pas la respecter, c’est couper la branche sur laquelle on est perché !
Dès lors, vous aurez de nombreuses pistes d’actions. Elles donneront un autre sens à nos modestes vies conditionnées par la surconsommation et la destruction massive de la biodiversité. La permaculture est un terme très en vogue mais c’est simplement le mode de culture qu’appliquaient nos aïeux !
LPO | Pouvez-vous expliquer comment la végétation spontanée a recolonisé le Refuge ? Quelles sont les espèces animales observées ?
Jacques L. | J’ai repris le terrain de mes grands-parents laissé quelque peu à l’abandon. La Nature avait déjà repris ses droits. Les lichens étaient installés sur les arbres, des vieux fruitiers morts étaient laissés en pâtures aux pics, les rongeurs s’y étaient installés (nous n’utilisons pas de raticide bien sûr…) et étaient les proies des chouettes. L’objectif : ne pas s’imposer, à chacun sa modeste place. Je pense que quelques lignes ne suffiront pas à énumérer la diversité présente chez moi, mais parmi les espèces que j’ai photographié on trouve des animaux « classiques » du jardin comme le hérisson d’Europe, le renard roux pris au piège photo infrarouge la nuit, le moineau domestique, le grosbec cassenoyaux, l’accenteur mouchet, le crapaud commun, la trichie fasciée un magnifique insecte coléoptère zébré de jaune et noir dont les adultes (appelés imago chez les insectes) se nourrissent du cœur des fleurs sauvages, la magnifique libellule à quatre tâches qui chasse moustiques et moucherons, mais aussi d’autres prises de vue de fleurs sauvages, de champignons et aussi des phénomènes de la nature, plus poétiques, comme les arcs en ciel, les ciels tourmentés de nuages, … Un vrai régal !
LPO | Depuis quand pratiquez-vous la photo naturaliste et de quel matériel disposez-vous ?
Jacques L. | Je photographie la nature depuis que mon père m’a offert un « Retinette Kodak » (appareil produit en 1939 par la firme Kodak) à l’âge de 8 ans, et j’en ai maintenant 63. Depuis le matériel a bien évolué : les reflex numériques Canon avec des optiques de qualité sont pratiques et perfectionnés, mais avant toute chose, c’est l’émerveillement face au vivant qui est le moteur de ma passion. Je pratique principalement l’affût photo sur mon terrain et évite le plus possible l’intrusion sur les zones dites sensibles (réserves naturelles, forêts…). J’aime la macrophotographie : cela demande peu de temps, les sujets sont infinis et peut se pratiquer n’importe où. Je n’en ai pas fait un métier au sens strict du terme, mais une passion, un outil destiné à figer un détail de l’environnement à un instant « T », que peut-être, nos enfants ou les générations futures n’auront pas la chance d’observer.
LPO | Quelles sont vos principales actions de sensibilisation ?
Jacques L. | Outre les visites organisées ou ponctuelles je m’efforce de faire « passer le message », cela prend du temps et génère parfois l’incompréhension, mais je ne désespère pas. Aujourd’hui, des voisins tondent moins, laissent des espaces sauvages, plantent des haies… alors, on avance petit à petit.
LPO | Quels résultats avez-vous obtenus depuis que vous êtes Refuge LPO ?
Jacques L. | A mon échelle et depuis des années, j’ai beaucoup de mal à cerner le sujet. Je constate des faits : changement climatique, disparition d’espèces auparavant communes, pratiques agricoles dévastatrices…, ce qui impacte forcément l’espace du Refuge. Faut-il pour autant baisser les bras ou justement réagir face à cette catastrophe annoncée ? C’est la voie que j’ai emprunté, celle du militantisme écologique afin de ne pas avoir honte (post mortem) vis-à-vis des générations futures !
LPO | La Réserve ornithologique belge des Marais d’Harchies située à 8 km du Refuge a-t-elle un impact sur la biodiversité observée ?
Jacques L. | La réserve des Marais d’Harchie, située non loin en Wallonie, est constituée principalement d’étangs d’effondrements miniers très favorables aux anatidés (famille des canards et des oies), laridés (mouettes et goélands) et à d’autres oiseaux inféodés à ce type de milieu. L’avifaune de mon secteur est plus proches des biotopes forestiers, voire de plaine quand celle-ci n’est pas détruite par l’agriculture céréalière. L’impact est donc très peu perceptible. Néanmoins, depuis que j’ai créé une mare naturelle, agrions et grandes libellules sont présentes, la colonisation est donc effective. Il est fort à parier que ces insectes ne sont pas apparus spontanément !
LPO | Que diriez-vous aux gens pour qu’ils s’engagent dans la démarche Refuge LPO ?
Jacques L. | Nous sommes de modestes remparts contre l’effondrement de la biodiversité. Le travail est considérable pour sauver ce qu’il reste. Pourquoi ne seriez-vous pas un acteur de ce « sauvetage » ? Noble tâche, noble cause, ne laissons pas les lobbies faire leurs lois !
Je n’aime pas les politiques, beaucoup de promesses et peu d’action sur les sujets du glyphosate par exemple, de la PAC agricole commune ou sur la chasse. Néanmoins, si nous voulons le changement, avons-nous d’autres choix que de passer par eux pour légiférer et faire évoluer ce monde ? Plus nous seront nombreux, plus nous aurons - un mot que je n’apprécie pas… mais pourtant ! - de pouvoir.
Année de réalisation : 2000