LPO | Bonjour Yann, depuis quand êtes-vous inscrit en Refuge LPO ?
Yann BATAILHOU | Précisément depuis le 2 janvier 2014, date de mon anniversaire par ailleurs.
LPO | Comment avez-vous connu la LPO ?
Yann BATAILHOU | Je connais la LPO depuis l’adolescence. J’avais alors à peu près 14 ans et je m’intéressais déjà aux sciences naturelles et plus particulièrement aux oiseaux. J’ai connu la LPO grâce à ses publications et à ses interventions relayées par les médias de l’époque.
LPO | Quel était le projet au début du Refuge « Chez Elioth » ?
Yann BATAILHOU | Je suis ingénieur écologue. C’est ma profession de préserver la nature. Il est donc tout à fait naturel et logique de commencer par chez nous. Et puis avec mon épouse, nous avions envie d’afficher nos convictions sur notre propriété : les Refuges LPO étaient un moyen d’obtenir à la fois un soutien de la LPO mais aussi de revendiquer notre position vis-à-vis de la conservation de la biodiversité.
LPO | Pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce jardin naturel et/ou dans quel contexte* s’inscrit la préservation de cet espace ?
Yann BATAILHOU | Nous sommes sur un versant calcaire exposé Sud, Sud-Ouest dans la vallée troglodyte du Loir, dans le Loir-et-Cher, une région riche en chiroptères. Nous sommes aussi par ailleurs en refuge chauve-souris avec la SFEPM (Société Française pour l'Etude et la Protection des Mammifères). Notre Refuge LPO est donc à flanc de vallée, nous dominons le village de Lunay et sa superficie est de 2 256 m².
LPO | Quelle est l’importance de la flore et comment avez-vous réussi à préserver votre pelouse calcicole ?
Yann BATAILHOU | Le terrain est quasi-adjacent à notre propriété qui au début n’était que de 868 m². J’avais déjà noté le potentiel de cette prairie couverte d’origan commun (Origanum vulgare) et parsemée de quelques premières orchidées : orchis bouc et ophrys abeille. Dans le cadastre, la prairie fait partie des zones à urbaniser. Nous avons donc négocié avec le propriétaire pour acquérir le terrain : nous avons ainsi désormais la maîtrise d’usage du foncier.
LPO | Quelle gestion écologique avez-vous mis en place pour maintenir la flore xérophile de cette pelouse ?
Yann BATAILHOU | D’emblée, une seule à deux fauches maximum par an. J’utilise une débroussailleuse que j’équipe d’une lame. Afin d’obtenir une certaine hétérogénéité dans le faciès végétal et de conserver quelques zones en herbe l’hiver, je ne fauche pas la totalité de la prairie : j’alterne chaque année. Et puis chose importante : afin d’éviter l’enrichissement en nutriments du milieu (important dans la gestion des pelouses calcicoles), une fois la fauche terminée, j’extrais les rémanents que j’entasse dans un coin de prairie et qui servent d’abris à la faune ou de zone de ponte aux reptiles.
LPO | Quels sont les principaux aménagements bénéfiques à la faune et la flore sauvages ?
Yann BATAILHOU | Ils sont divers : déjà plus aucun pesticide depuis l’achat de la propriété en 2009, nichoirs pour oiseaux (5 mais beaucoup d’autres sont à venir), gîtes à chiroptères, abris à insectes, haies (dont une haie plessée), bois morts (au sol et sur pied), points d’eau, coins de friches, mangeoire en hiver bien entendu… Avant de clôturer la prairie, j’ai réalisé un trou de 4 mètres de longueur, 2 mètres de large et environ 60 cm de profondeur que j’ai rempli de rondins et de branches puis recouvert d’un mélange de sable et de terre. Je me suis ensuite amusé à décorer comme un terrarium à ciel ouvert (petite dune de sable, souches, blocs en ardoise pour la thermorégulation, etc.). La combinaison de ces divers composants est sensée être bénéfique aux insectes (pollinisateurs et coléoptères saproxyliques surtout) et aux reptiles notamment. J’ai encore plein de projets !
LPO | Avez-vous d’autres méthodes de gestion écologiques particulières ?
Yann BATAILHOU | Je multiplie les aménagements et tente de conserver au mieux les habitats naturels chez nous. Je limite les espèces invasives (faune et flore). La quiétude des lieux est aussi un facteur important pour la faune : je réduit l’utilisation des moteurs. Si votre terrai est grand, pensez à laisser un lieu dédié à la tranquillité.
LPO | Quel geste simple aimeriez-vous partager en faveur de la biodiversité ?
Yann BATAILHOU | C’est plus un conseil qu’un geste que j’aimerai partager. Tout le monde parle d’écologie mais peu de personnes savent de quoi il s’agit. De manière académique, l’écologie est la science qui étudie les interactions dans les écosystèmes. Si vous voulez faire de l’écologie, ne vous limitez pas aux lieux communs (s’en tenir uniquement à trier le plastique, le verre par exemple). Interrogez-vous surtout sur l’interaction que vous avez sur la nature lorsque vous entreprenez une action : est-elle néfaste ou non, quand je coupe un arbre, quand je tonds, quand j’enlève un tas de pierre, quand je remblais une mare … ? Vous verrez, normalement, vous avez la réponse.
LPO | Avez-vous relevé une augmentation de la biodiversité, de nouvelles espèces animales et végétales apparues sur ce terrain ?
Yann BATAILHOU | Sur la prairie calcicole, sans aucun doute. Dès la première année de gestion, nous avons vu apparaître l’orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis) et avons constaté la multiplication d'autres espèces d'orchidées déjà présentes et puis, surtout, depuis cette année, nous avons la joie d’accueillir une population d’azurés du serpolet (Phengaris arion), un papillon inféodé aux pelouses calcaires sèches en région Centre.
Concernant les autres espèces, il n’est pas difficile d’observer les parades amoureuses du hérisson d’Europe, de l’écureuil roux, de plusieurs espèces de pics (épeiche, vert et épeichette), le rougequeue à front blanc, le gobemouche gris en passage postnuptial, les hirondelles rustique et de fenêtre, le grosbec casse-noyaux (toute l’année), le faucon crécerelle, l’épervier d’Europe, le sylvain azuré (magnifique papillon), le lucane cerf-volant, l’orvet fragile (adultes et juvéniles), la liste est longue …
LPO | Faites-vous connaître ce terrain et/ou votre démarche autour de vous ?
Yann BATAILHOU | Oui, grâce aux panneaux Refuges LPO disposés autour de notre propriété qui est longée par un chemin passant très emprunté par les marcheurs et les vététistes. De plus, nous habitons Lunay depuis 9 ans et j’avais contribué en tant que citoyen à la démarche d’élaboration du PLU en exposant mon point de vue sur l’absolue nécessité de préserver la biodiversité et les fonctions écosystémiques des espaces naturels. C’est resté en mémoire.
LPO | Pouvez-vous nous partager une anecdote liée à ce terrain ?
Yann BATAILHOU | Lors de l’achat de ce terrain, je m’étais fixé comme objectif à moyen ou long terme d’accueillir de l’azuré de Serpolet. Dès le départ, j’en avais fait un « levier de gestion » comme on dit dans le métier. Vous trouverez certainement ça prétentieux, mais il faut comprendre la fierté et surtout la joie pour nous d’avoir atteint cet objectif en à peine deux ans. Maintenant, relativisons : tout ne dépend pas que de nous, la résilience de la nature y est aussi pour beaucoup … Pourvu que cela dure !
LPO | Quels sont vos projets à venir pour la LPO?
Yann BATAILHOU | Je maintiendrai ce Refuge à tout prix et si j’ai l’occasion et les moyens d’en créer d’autres, soyez persuadé que je le ferai. Merci à la LPO pour ce que vous faites et surtout continuez ainsi !
Interview réalisée par Nicolas Macaire - LPO
Année de réalisation : 2014