Depuis un arrêt de la Cour de justice européenne en février 2021, le Conseil d’État a annulé tous les arrêtés ayant autorisé les chasses traditionnelles d’oiseaux sauvages en France. Motif : ces modes de piégeage méconnaissent les objectifs fixés par la Directive européenne « Oiseaux » de 2009, en particulier parce qu’ils ne démontrent pas leur caractère sélectif. Le 24 mai 2023, la plus haute juridiction administrative française ordonnait même l’abrogation des arrêtés datant de 1989 qui encadraient ces pratiques, signifiant normalement leur fin définitive.
Las, le gouvernement veut maintenant contester cette jurisprudence en organisant une expérimentation dont l’objectif est de démontrer ce caractère sélectif et prouver que le nombre de captures d’espèces non ciblées demeure faible et que ces dernières sont relâchées rapidement, sans dommage autre que négligeable.
Cette étude, préparée conjointement par le Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la Fédération nationale des chasseurs, consiste ainsi à autoriser par arrêtés préfectoraux à partir du mois d’octobre la capture de :
- 6000 alouettes des champs à l’aide de pantes (filets horizontaux) ou de matoles (cages tombantes) dans les départements suivants : Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques
- 500 vanneaux huppés et 15 pluviers dorés à l’aide de tenderies (filets horizontaux) dans les Ardennes.
Chasseurs recueilleurs
Les données recueillies lors de cette expérimentation doivent permettre d’évaluer « scientifiquement » la proportion de prises accidentelles occasionnées par l’emploi de ces méthodes de piégeage, ainsi que l’état, au relâcher, des individus ainsi capturés. Sans aucune concertation préalable avec les organismes scientifiques, comme par exemple le Muséum national d’histoire naturelle, l’étude reposera en fait sur les déclarations des chasseurs eux-mêmes, la présence d’un observateur assermenté et indépendant restant facultative.
En mai 2023, une étude du CNRS alertait sur la disparition des oiseaux en milieu rural, qui ont perdu 60 % de leurs effectifs en à peine quarante ans. Parmi les espèces les plus touchées : l’Alouette des champs et le Vanneau huppé, dont les populations sont en chute libre dans nos campagnes.
Cet acharnement à vouloir encourager le piégeage non sélectif des oiseaux n’est pas digne d’un pays qui se veut leader en matière de reconquête de la biodiversité. Les annonces du Président de la République sur la planification écologique ne sont plus crédibles. Evidemment la LPO compte attaquer les arrêtés préfectoraux. Mais comme trop souvent le mal aura été fait d’ici à ce que justice soit rendue
Allain Bougrain Dubourg Président de la LPO
Pour mémoire, la saga juridique des chasses traditionnelles des oiseaux en France
- 2 avril 1979 : Adoption de la Directive européenne concernant la conservation des oiseaux sauvages, qui interdit le recours aux méthodes de capture non sélective
- 17 août 1989 : Arrêtés cadre sur les chasses traditionnelles. Cinq départements de PACA sont notamment autorisés à capturer grives et merles au moyen de bâtons couverts de glu
- 16 novembre 1992 : Un arrêt du Conseil d‘Etat rejette le recours de la LPO contre la chasse à la glu
- 12 septembre 2004 : Un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) condamne l’Espagne pour une pratique semblable de chasse aux gluaux (les pananys), jugée non sélective.
- Février 2018 : Un rapport du Centre National d'Informations Toxicologiques Vétérinaires de Lyon confirme les dommages irréversibles sur les espèces capturées, du fait de la glu et aussi des solvants utilisés pour les décoller
- Juin 2018 : Un arrêt de la CJUE contre Malte sanctionne le piégeage des passereaux en grande quantité et de manière non sélective
- 28 décembre 2018 : Nouvel échec du recours de la LPO contre les arrêtés ministériels de 1989, basé sur les décisions européennes
- 2 Avril 2019 : A l’occasion du 40ème anniversaire de la Directive Oiseaux, la LPO dépose plainte auprès de la Commission Européenne sur les abus de la chasse aux oiseaux en France
- Juillet 2019 : La commission européenne met en demeure la France pour manquement à ses obligations de protection d’espèces menacées. Sont particulièrement visés la chasse des oiseaux migrateurs, d’espèces en mauvais état de conservation, et le piégeage indifférencié sous prétexte de tradition
- Novembre 2019 : La LPO diffuse des images accablantes prouvant la non sélectivité de la chasse à la glu. Le Conseil d’État sursoit à statuer et s’en remet à la CJUE.
- 17 mars 2021 : Un arrêt de la CJUE confirme au Conseil d’État que la pratique du piégeage à la glu contrevient à la Directive Oiseaux en raison de la sélectivité insuffisante des captures et des séquelles sur les oiseaux relâchés
- 28 Juin 2021 : Le Conseil d’État annule les arrêtés ministériels ayant autorisé la chasse à la glu pour les saisons 2018/2019 et 2019/2020 et confirme ainsi que cette pratique est illégale
- 6 août 2021 : Le Conseil d’État annule les derniers arrêtés ayant autorisé le piégeage traditionnel des alouettes dans le Sud-Ouest à l’aide de pantes et de matoles et des vanneaux huppés et pluviers dorés à l’aide de tendes dans le département des Ardennes
- 15 octobre 2021 : Le gouvernement publie de nouveaux arrêtés cadres et autorise à nouveau ces piégeages traditionnels pour la saison 2021/2022.
- 25 octobre 2021 : Saisi par la LPO, le Conseil d’État suspend immédiatement les arrêtés 2021/2022
- 7 octobre 2022 : Le gouvernement récidive après avoir de nouveau modifié les arrêtés cadres et autorise à nouveau ces piégeages traditionnels pour la saison 2022/2023.
- 21 octobre 2022 : Saisi par la LPO, le Conseil d’État suspend immédiatement les arrêtés 2022/2023
- 23 novembre 2022 : le Conseil D’État annule définitivement les arrêtés 2021/2022
- 24 mai 2023 : Le Conseil d’État ordonne l’abrogation définitive des arrêtés-cadres relatifs à l'emploi des gluaux, à la tenderie aux vanneaux et aux grives
- Octobre 2023 : Le gouvernement autorise une expérimentation visant à démontrer le caractère sélectif des chasses traditionnelles