Vous reprendrez bien un peu de glyphosate pour 10 ans ?

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La LPO demande à la France de s’opposer fermement au renouvellement jusque 2033 de l’autorisation du désherbant le plus vendu au monde, qui doit être voté le 13 octobre par les représentants des 27 États membres de l’Union Européenne.

Le glyphosate est un herbicide non sélectif pulvérisé chaque année sur des millions d'hectares de cultures. Depuis sa première commercialisation en 1974, cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant la production à moindre coût de céréales génétiquement modifiées sur des surfaces gigantesques.

Ses effets sur la santé humaine font l’objet de controverses scientifiques et d’un important lobbying de l’industrie agrochimique depuis que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l’a classé « probablement cancérogène » en 2015, appuyé par une expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2021. En mars 2022, un lien de causalité a été établi entre l'exposition prénatale au glyphosate d’une femme enceinte et les malformations congénitales de son fils né en 2007. Peu de temps après son élection en 2017, le Président Emmanuel Macron avait même annoncé son interdiction dans un délai de 3 ans, avant de faire marche arrière sous la pression des syndicats agricoles.

Le poison de la discorde

L’utilisation du glyphosate a été finalement banni en 2019 pour les collectivités et les particuliers, mais demeure largement utilisé par l’agriculture, dont les réglementations sont essentiellement fixées à l’échelle européenne. Or la Commission Européenne discute aujourd’hui lors de la réunion du Comité permanent des végétaux (Scopaff) le renouvellement pour 10 ans de son autorisation de mise sur le marché, qui expire le 15 décembre prochain. Cette décision se base sur un rapport récent de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui n'a pas identifié de domaine de préoccupation critique concernant l'impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l'environnement, tout en reconnaissant des lacunes dans les données analysées.

Ces lacunes concernent notamment les effets délétères potentiels sur les écosystèmes naturels. Le déversement continu de quantités massives de cette substance bioactive dans l’environnement est susceptible d’entraîner de profonds bouleversements écologiques à long terme. En mai 2023, une étude du CNRS alertait sur la responsabilité des pesticides la disparition des oiseaux des champs en Europe, qui ont perdu 60 % de leurs effectifs en à peine quarante ans. Par ailleurs, la plupart des études d’impact ne portent que sur le glyphosate seul, alors qu'il est toujours utilisé avec des additifs dont certains ont une toxicité avérée. Face à de telles incertitudes et dans un contexte mondial d’effondrement de la biodiversité, le principe de précaution devrait impérativement s’appliquer. Un récent sondage indique que plus de 70% des Français sont favorables à l’interdiction du glyphosate.

La procrastination des pouvoirs publics sur l’interdiction du glyphosate est symptomatique d’une tendance à la pusillanimité chez les décideurs politiques en matière de transition agricole. Changer nos modes de production et de consommation alimentaires constitue une véritable opportunité sociétale pour restaurer nos paysages, renforcer la résilience de la nature face au réchauffement climatique, rétablir le lien des humains avec le reste du vivant et garantir notre avenir commun. C’est donc une priorité absolue.

Allain Bougrain Dubourg

Président de la LPO