L’examen du “Projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture” avait été suspendu par la dissolution de l'Assemblée nationale, puis à nouveau repoussé par la censure du gouvernement Barnier. De retour à l’agenda politique en mode accéléré, sous la pression des syndicats agricoles majoritaires, le texte sera voté ce 18 février par le Sénat et passera le soir même en Commission mixte paritaire afin d’être adopté avant l’ouverture du Salon de l’Agriculture le week-end prochain.
Comme lors de la première présentation du projet de loi en avril 2024, nos organisations dénoncent avec force les régressions environnementales sans précédent prévues dans le texte.
En érigeant l’agriculture, la pêche et l’aquaculture au rang d’intérêt général majeur, l’article 1 permet de faciliter l’octroi de dérogations à la règlementation environnementale pour les projets qui portent atteinte aux espèces protégées, qui touchent la gestion des milieux aquatiques ou qui nuisent à la conservation de sites naturels menacés. Après avoir tenté de supprimer l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique (Agence Bio) dans le cadre du projet de loi de finances 2025, les sénateurs ont finalement fait retirer l’objectif national d’atteindre 21 % de surfaces agricoles utiles cultivées en bio d’ici 2030, entérinant l’abandon des ambitions de développement de cette filière cruciale.
Le Sénat a également inscrit dans ce premier article le principe selon lequel les produits phytosanitaires ne pourraient plus être interdits sans avoir au préalable identifié des solutions alternatives économiquement viables, ouvrant ainsi la porte au retour de pesticides dangereux tels que les néonicotinoïdes, à la toxicité avérée pour la biodiversité.
Il ajoute enfin sur ce premier article des dispositions inquiétantes visant à développer à tout va l’irrigation agricole pour préserver la “souveraineté alimentaire”, alors que les productions irriguées servent d’abord les produits exportés. Une telle augmentation des prélèvements fera peser des menaces supplémentaires sur la ressource en eau renouvelable alors que celle-ci ne cesse de diminuer et que, si rien n’est fait pour inverser la tendance, la demande en irrigation pourrait presque doubler dans les années à venir.
L’article 13 exonère de sanctions pénales les auteurs d’infractions au Code de l’environnement si ces dernières ne sont pas reconnues comme intentionnelles. Aujourd’hui passible de 3 ans d’emprisonnement et de 150 000€ d’amende, la destruction d’une espèce protégée ou de son habitat serait désormais punie d’une contravention maximale de 450€ dès lors que l'intention n’est pas établie. Les réglementations relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et à l’exploitation forestière sont également assouplies.
L’article 14 propose de relativiser le fait de détruire des haies sans autorisation, alors que plus de 20000 km de ces éléments essentiels à la biodiversité rurale disparaissent déjà chaque année en France.
L’article 15 facilite l’implantation de retenues collinaires : ces mégabassines qui accaparent les ressources en eau au profit de l’agriculture intensive ne seront plus soumises à autorisation mais à une simple déclaration et d’éventuelles mesures de compensation.
Ces reculs inédits rompent avec des décennies de progrès en matière de protection de l’environnement. À l’heure où l’effondrement de la biodiversité et le réchauffement climatique imposent un profond changement de paradigme dans nos modes de production et de consommation alimentaires afin de réconcilier l’agriculture et la nature, ce projet de loi perpétue à l’inverse un système productiviste obsolète et délétère.
Nous appelons les parlementaires et le gouvernement à renoncer à ces mesures et à engager enfin une véritable transition agroécologique, respectueuse du vivant et des générations futures.
[1] France Stratégie a établi que l’irrigation agricole en France était mobilisée pour produire en premier lieu des produits exportés (34 % des surfaces irriguées).
[2] Selon France Stratégie, dans un scénario tendanciel, les consommations du secteur agricole pour les cultures irriguées augmenteraient de +102% d’ici 2050