Comme le loup, le Bouquetin des Alpes a bien failli disparaître de France durant le siècle dernier, victime d’une chasse impitoyable, avant d’être protégé au niveau international à partir des années 1960 et de bénéficier de la création des grands parcs nationaux alpins, comme celui de la Vanoise. En dépit de ce statut, des dérogations préfectorales ont été obtenues dans le Massif Haut Savoyard du Bargy pour éliminer des bouquetins à la demande des éleveurs et des producteurs de reblochon locaux dans le but d’éradiquer un foyer de brucellose, une maladie infectieuse potentiellement transmissible au bétail et à l'homme.
Après l’apparition d’un nouveau cas chez un bovin en novembre 2021, la préfecture de Haute-Savoie avait ainsi signé le 17 mars 2022 un arrêté préfectoral autorisant l’abattage indiscriminé d’un maximum de 170 bouquetins, ce qui compte tenu du taux de prévalence de la maladie estimé à 4%, revenait à tuer plus de la moitié de la population locale d’environ 300 individus pour en éliminer quelques malades. Suite à des recours de la part d’associations de protection de la nature, dont la LPO et FNE, ce projet a été suspendu le 17 mai 2022 par une ordonnance du tribunal administratif de Grenoble.
En dépit de cette décision de justice, le préfet de Haute-Savoie a déposé un nouveau projet d’arrêté en juillet 2022 pour autoriser l’abattage des bouquetins qui n’ont pas encore pu être capturés et testés, soit 75 individus, ce qui demeure inacceptable. Bien que la consultation publique ait recueilli 88% d’avis défavorables, le préfet a choisi de l’ignorer pour confirmer l’arrêté dans sa version initiale en le publiant au dernier moment ce 14 octobre et en ordonnant en parallèle la fermeture au public du Massif du Bargy entre le 16 et le 18 octobre pour procéder à l’abattage des bouquetins sans risquer d’interposition d’opposants au projet. Les pouvoirs publics ne tiennent compte ni des concertations effectuées par leurs soins, ni de la science.
Effectivement, le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) avait émis un nouvel avis défavorable à ce projet le 16 juin 2022. Depuis le printemps 2022, 170 bouquetins ont été capturés et il a été constaté que plus de 95% n’étaient pas porteurs de la maladie. Selon les experts, l’infection devrait s’éteindre naturellement à condition de respecter un certain nombre de mesures de prudence et de bio-surveillance au cours des années à venir. Si l'euthanasie d’animaux avérés séropositifs est acceptable, l’abattage indiscriminé d’individus sains est inutile, de plus le ciblage des femelles en âge de procréer a pour effet de désorganiser la hiérarchie sociale dans les hardes et contribue à la contamination de davantage d'individus. La faune sauvage ne peut être traitée au même titre que les animaux élevages en cas d’épidémie en requérant à des abattages massifs au nom du principe de précaution.
Mise à jour du 20 octobre 2022 : En 48h, 61 bouquetins ont été abattus dans le massif du Bargy, soit environ 20% de la population, à grands renforts de moyens publics, dont des hélicoptères.
Alors que le législateur a prévu que les arrêtés peuvent être attaqués en justice dans les deux mois de leur promulgation, le préfet a décidé de lancer les opérations d'abattage sans nous laisser le temps d'agir sur le plan juridique. Bien qu'elle soit légale, cette manière de procéder devient fréquente et n'est pas à notre avis supportable d'un point de vue sociétal. Le préfet se doutait probablement que son arrêté, similaire à celui qui avait été suspendu par le juge en avril de cette année, serait retoqué à nouveau.
Pour sauver les bouquetins pas encore abattus, avec d'autres associations (FNE, AJAS, Animal Cross, ASPAS, AVES, One Voice), un recours suspensif a été déposé le 19 octobre au tribunal administratif de Grenoble. Nous espérons que le préfet n'aura pas l'impudence d'envoyer des tireurs abattre les 14 bouquetins restants tant que le juge des référés n'aura pas rendu son verdict.