Le Plan Stratégique National de la Politique Agricole Commune (PSN-PAC) qui définit la politique agricole de la France, doit être remis à la Commission européenne en janvier prochain. Élaboré par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, ce document guidera l’utilisation par la France de 43,7 milliards d’euros de la PAC, soit 8,7 Md€/an pendant 5 années, de 2023 à 2027.
Ce Plan stratégique national porté par la France est soumis à évaluation et l’avis de l’Autorité environnementale a été rendu le 22 octobre 2021. Ses conclusions sont claires : les effets environnementaux positifs de la future PAC sont grandement incertains, tandis que ses effets négatifs sont largement sous-évalués voire ignorés. Le ministère doit mettre le PSN en cohérence avec la trajectoire qu’il s’est fixée en matière de changement climatique, de bon état des eaux, de reconquête de la biodiversité et de santé humaine.
Après le débat public sur la politique agricole de la France déjà organisé par la CNDP dans le courant de l’année 2020, les citoyens sont à nouveau appelés à donner leur avis sur la PSN-PAC en participant à une consultation publique en répondant à un formulaire sur le site du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.
Afin de vous aider à répondre aux questions posées, consultez ci-dessous les éléments de réponse de la Plateforme inter-associative Pour une Autre PAC, à laquelle appartient la LPO :
Quelles sont vos observations sur le projet de Plan stratégique national de la PAC 2023-2027 ?
Marquée par le statu quo, cette réforme de la politique agricole va à contresens des attentes des citoyens et des paysans.
En matière d’emploi agricole, les mesures favorisant l'emploi plutôt que l'agrandissement des fermes ont fait l'objet d'un statu quo délétère et le rééquilibrage vers un modèle de ferme à taille humaine est inexistant. Le PSN pourrait pourtant stimuler l'emploi, d'une part, en diminuant le budget des aides de base à l’hectare et en mettant en œuvre le plafonnement et la dégressivité des aides, et d’autre part, renforcer le paiement redistributif et activer le “schéma pour les petits agriculteurs".
Ce soutien aux hectares plutôt qu’aux emplois est également néfaste pour l’environnement, pour lequel il n’est pas non plus prévu une enveloppe budgétaire suffisante pour engager une transition agroécologique massive (cette enveloppe régresse par rapport à celle de la programmation précédente !). Cela va à l'encontre des attentes citoyennes puisque, dans le cadre du débat public imPACtons, les objectifs liés à l’objectif général "Renforcer la protection de l’environnement et l’action pour le climat afin de contribuer aux objectifs de l’Union" ont été jugés "Très prioritaire"/"Prioritaire" par 97% des participants. L’Autorité environnementale et la Cour des comptes dénoncent également le gaspillage massif d’argent public et l'hypocrisie des décisions prises concernant l’architecture environnementale de la prochaine PAC. Le label "Haute Valeur Environnementale" doit ainsi être supprimé des pratiques donnant accès à l’éco-régimes, dans la mesure où de nombreux acteurs scientifiques ont dénoncé la faiblesse de son cahier des charges actuel et où son éventuel futur cahier des charges ne sera pas connu à temps pour la validation de la prochaine PAC. Plus globalement, pour permettre une transition agroécologique massive, le budget du PSN dédié aux mesures environnementales doit être réévalué à la hausse et conditionné aux services environnementaux rendus et scientifiquement avérés.
En somme, cette réforme vise à prolonger un système agricole et alimentaire qui sera destructeur pour l'emploi agricole et qui ne correspond en rien aux attentes des citoyens liées à leur santé, à leur alimentation, à l'environnement, au bien-être animal, ou encore au dynamisme des zones rurales.
Plus spécifiquement, dans quelle mesure le projet de PSN vous parait-il en adéquation avec les objectifs fixés dans le règlement européen ? :
- soutenir des revenus agricoles viables et la résilience
- renforcer l'orientation vers le marché et accroître la compétitivité, notamment via la recherche, la technologie et le numérique
- améliorer la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur
- contribuer à l'atténuation du changement climatique et à l'adaptation à ce dernier et au développement des énergies renouvelables
- favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles telles que l'eau, les sols, l'air
- contribuer à la protection de la biodiversité, améliorer les services écosystémiques et préserver les habitats et les paysages
- attirer les jeunes agriculteurs et faciliter le développement des entreprises dans les zones rurales
- promouvoir l'emploi, la croissance, l'inclusion sociale et le développement local dans les zones rurales, y compris la bioéconomie et la sylviculture durable
- améliorer la réponse de l'agriculture aux exigences sociétales en matière d'alimentation et de santé, y compris un approvisionnement alimentaire sûr, nutritif et durable, la gestion des déchets et le bien-être animal
PAC au service de l’emploi
Dans le cadre du débat imPACtons, l’objectif "Rééquilibrer les rapports de force dans la chaîne de valeur" a été jugé "(Très) prioritaire" par 92% des participants alors que "Renforcer la compétitivité" a été jugé comme "Pas du tout prioritaire" par 49% des citoyens. Cette hiérarchisation remet en question l'orientation de la PAC qui favorise un modèle agro-industriel fondé sur une fuite en avant mécanique et technologique accroissant la perte d'autonomie des paysans.
Le PSN devrait être mis au service de l’emploi pour dynamiser les campagnes, revaloriser le métier de paysan et préserver l’environnement : il faudrait diminuer le budget des aides de base à l’hectare, mettre en œuvre le plafonnement et la dégressivité des aides, acter d’un renforcement du budget du paiement redistributif à hauteur de 20%, activer le “schéma pour les petits agriculteurs” et atteindre une convergence interne totale d’ici 2027 afin de mettre un terme aux références historiques injustes.
Souveraineté alimentaire des pays du Sud
La PAC détermine la sécurité alimentaire de l'UE mais aussi celle des pays du Sud, du fait de ses exportations indirectement subventionnées (notamment lait et céréales). Alors que la politique agricole pourrait soutenir les productions locales faisant vivre les territoires, elle encourage plutôt quelques productions de masse à des fins d’exportation, qui entrent en concurrence avec les denrées des paysans du Sud sur leurs marchés domestiques.
Il convient de saluer le renforcement des aides couplées aux légumineuses, qui devraient entraîner une baisse des importations en provenance de ces pays où elles sont sources de déforestation et concurrencent les productions destinées à la consommation domestique. Mais sans suppression des aides de base à l’hectare et sans refonte des programmes opérationnels pour les mettre au service de filières alimentaires territorialisées de qualité, le modèle de l’agriculture productiviste et exportatrice continuera à impacter les paysans du Sud et du Nord.
Soutenir la transition agroécologique
La politique agricole pourrait permettre de sortir d’un modèle fondé sur les pesticides et les engrais chimiques mais alors que le cadre européen exige un niveau d’ambition plus élevé par rapport à la politique agricole précédente, le budget du PSN dédié à l’environnement régresse de 10 %.
De plus, les critères d’accès à l’éco-régime sont trop peu exigeants. D’une part, le label “Haute Valeur Environnementale” (dont le cahier des charges du label HVE ne présente pas d’effets avérés sur l’environnement) doit en être exclu. D’autre part, la voie “diversification” est construite pour donner une accès facile à ces subventions “vertes” à la quasi totalité des exploitations céréalières, celles-là même dont les pratiques environnementales sont les plus faibles à ce jour. Les critères pour accéder à cette voie de l’éco-régime devraient être très sérieusement revus à la hausse.
Adaptation au risque climatique
L’augmentation du budget pour l’aide à l’assurance récolte (de 150 à 186 millions d’euros) vise à indemniser a posteriori les fermes les moins résilientes, plutôt qu’à les inciter à anticiper et réduire les risques. La politique agricole pourrait pourtant favoriser l’autonomie et la résilience des fermes avec pour objectifs la souveraineté alimentaire et l’adaptation face aux aléas climatiques et sanitaires.
En supprimant le budget alloué à l’aide à l’assurance récolte, des crédits pourraient être libérés pour augmenter le budget des Mesures Agro Environnementales et Climatiques (MAEC), mesures pertinentes pour renforcer la résilience des fermes et ainsi mettre en place une approche préventive de la gestion des risques. Dans le PSN proposé par le ministère, les MAEC subissent pourtant une baisse de leur ambition et un statu quo budgétaire, rendant dès lors impossible la massification de la transition.
Demandes sociétales
La réforme aurait pu prévoir l’amélioration de la gouvernance des systèmes alimentaires de manière à en faire des espaces ouverts régis démocratiquement. Si le processus de réforme de la PAC a été ponctué par des temps de consultation comme celui-ci ou celui du débat imPACtons, la prise en compte des avis n’a toutefois pas été probant : la “lutte contre le changement climatique”, la “gestion durable des ressources” et la “protection de la biodiversité”, jugées comme “très prioritaires” par plus de 80% des votants du débat public imPACtons, sont ignorées. De même, le débat public a mis en lumière la préoccupation croissante des citoyens pour le bien-être des animaux : ce sujet reste pourtant le parent pauvre du PSN. Enfin, alors que 70% des votants jugeaient l’objectif “Assurer un revenu juste et soutenir la résilience du secteur” (très) prioritaire, le ministère n’a pas prévu d’intégrer le "schéma pour les petits agriculteurs” au PSN, ni même de renforcer le paiement redistributif.
Accessibilité à une alimentation de qualité
Ce projet de politique agricole n’apporte aucune réponse à l’enjeu de l’accès à une alimentation de qualité. D’une part, la perte de subventions publiques sur les produits AB se traduira très probablement par une hausse des prix à la consommation, ne rendant cette alimentation accessible qu’aux citoyens aisés. D’autre part, le très faible budget pour les aides aux fruits et légumes frais sera insuffisant pour développer la production française de ces denrées et donc favoriser leur consommation par les citoyens.
Enfin, la PAC devrait intégrer l’alimentation et la santé grâce à une meilleure information sur les régimes alimentaires de qualité et une promotion des circuits courts de distribution et de valorisation.
Attentes citoyennes en matière de bien-être animal
Dans la proposition de politique agricole du ministère, certaines aides sont allouées indifféremment aux systèmes d'élevage vertueux ou aux systèmes intensifs qui sont contraires au bien-être des animaux, comme par exemple les taurillons engraissés en bâtiment.
La politique agricole pourrait pourtant permettre d’ériger le bien-être animal en principe incontournable par tous les acteurs des filières, mais les aides du PSN destinées directement à l’élevage ne valorisent pas assez les fermes mieux-disantes en matière de bien-être animal. L’éco-régime pourrait ainsi représenter un outil de rémunération positive de services environnementaux et de bien-être animal. En outre, les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC) incluant l’élevage devraient également viser une amélioration du bien-être animal.
Cette consultation représente une toute dernière opportunité de montrer que la politique agricole souhaitée par la France n’est pas en phase avec les attentes citoyennes, ni sur la bonne trajectoire pour répondre aux défis environnementaux. Alors que la Commission européenne vise des objectifs comme la réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides ou la réduction de 20 % de l’usage des engrais chimiques d’ici 2030, elle serait en position de faire pression sur la France pour qu’elle révise à la hausse l’ambition de son PSN.
La Politique Agricole Commune (PAC) représente l’ensemble des aides versées aux agriculteurs européens, c’est elle qui structure notre modèle agro-alimentaire. Mise en place en 1962, elle représente, aujourd’hui encore, l’une des plus importantes politiques européennes avec un tiers du budget européen. Elle ne concerne pas uniquement les agriculteurs qui touchent ces aides, mais bien chaque citoyen puisque la politique agricole de l’UE a aussi un impact direct sur bien des aspects de la vie quotidienne (alimentation, environnement, paysage, dynamisme des zones rurales, etc.). Selon les objectifs identifiés et les moyens attribués, elle peut ainsi servir l’intérêt général… ou l’intérêt de quelques privilégiés !
Quelques ressources
- PAComètre - Le projet de PAC de Julien Denormandie est-il compatible avec celui de Pour une autre PAC ? : https://basta.pouruneautrepac.fr
- L’Autorité environnementale juge le PSN inapte à réduire l’impact environnemental de l’agriculture française (24/10/2021) : https://pouruneautrepac.eu/lautorite-environnementale-juge-le-psn-inapte-a-reduire-limpact-environnemental-de-lagriculture-francaise/
- Conclusion du débat public “imPACtons” : https://pouruneautrepac.eu/remise-rapport-debat-impactons/