Suite à l’apparition d’un nouveau cas de contamination d’un bovin diagnostiqué en novembre 2021, et sous la pression des producteurs locaux de reblochon, la préfecture de Haute-Savoie a signé le 17 mars 2022 un arrêté préfectoral pour autoriser l’abattage indiscriminé d’un maximum de 170 bouquetins dans le massif du Bargy au cours de l’année 2022. Jusque 2030, 20 bouquetins pourront ensuite être tués annuellement comme c’est déjà le cas depuis plusieurs années en dépit des contestations de la LPO et d’autres associations de protection de la nature.
Une consultation publique réglementaire de 21 jours ouverte jusqu’au 7 mars a recueilli 2335 avis citoyens. En dépit de 84% d'opinions défavorables au projet d'arrêté, le rapport d'analyse de la consultation a conclu laconiquement que "les avis n'apportent pas d'éléments susceptibles de remettre en cause la stratégie élaborée par l'État dans le but de maîtriser l'enzootie de brucellose dans le massif du Bargy pour la période 2022-2030".
Avec d'autres associations (Animal Cross, ASPAS, One Voice, AVES, FNE Auvergne-Rhône-Alpes, FNE Haute-Savoie), la LPO a déposé le 22 avril un double recours juridique auprès du tribunal administratif de Grenoble, un recours suspensif et un recours sur le fond. Une première audience aura lieu le 11 mai 2022 pour demander la suspension immédiate de l'arrêté.
Une pétition a également été lancée pour faire annuler la décision des pouvoirs publics, et empêcher le massacre !
Le Bouquetin des Alpes (Capra ibex) est une espèce protégée au niveau international, dont moins de 400 individus vivent dans le massif du Bargy. S’il est concevable que l'euthanasie d’animaux séropositifs avérés contribue de manière dérogatoire à réduire un foyer infectieux pour des impératifs sanitaires, la destruction d’individus sains n’est pas acceptable. Le statut d’espèce protégée impose en outre une exigence de garantie sur l’efficacité des actions permises par la dérogation.
Contre l'avis des scientifiques
Les scientifiques du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), instance consultative du Ministère de la Transition Écologique, avaient pourtant également rendu le 27 janvier 2022 un avis défavorable à l’unanimité, ce qui est rare. Selon ces experts :
- Le cas révélé en 2021 ne semble pas du à une transmission directe entre bouquetin et bovin et il apparaît indispensable et prioritaire d’élucider le mode de contamination qui a prévalu.
- Le taux de prévalence de la brucellose est désormais évalué à environ 4% de la population des bouquetins dans le cœur du massif, après avoir été divisé par 10 en 5 ans. Il est même considéré comme nul en zones périphériques. L’infection devrait s’éteindre naturellement, à conditions de respecter un certain nombre de mesures de prudence au cours des années à venir.
- L'abattage indiscriminé, de plus ciblé sur les femelles en âge de procréer, désorganise la hiérarchie sociale dans les hardes et contribue à la contamination de davantage d'individus, comme cela a déjà été constaté à la suite des abattages massifs de 2013 et 2015.
Ils soutenaient également la mise en œuvre de mesures alternatives recommandées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sur la base d’études réalisées entre 2015 et 2021. Des captures assorties de contrôles avec euthanasie des bouquetins séropositifs, effectuées par les agents de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), alliées à des mesures de biosécurité (séparation stricte des zones de pâturage, parcages de qualité, élimination des pierres à sel et réduction de la divagation des chiens) doivent permettre d’éradiquer le foyer épidémique.
Le fromage qui dessert..
L’inquiétude des éleveurs et des producteurs de reblochon exposés est compréhensible mais comme sur la question du loup ou de l’ours des Pyrénées, la cohabitation en montagne entre les activités humaines et la faune sauvage ne peut en aucun cas se régler à coups de fusils.
Lire aussi la chronique d'Allain Bougrain Dubourg dans Charlie Hebdo le 21 avril 2020