Le Grand cormoran : bouc émissaire de la disparition des poissons

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Cet oiseau piscivore fait l’objet d’attaques réglementaires qui visent à faciliter sa régulation à travers l’Europe, en masquant les véritables causes de la dégradation écologique des rivières.  

Grand cormoran © Robert Ruidl/IStock

Réunie le 25 avril 2025, la Commission européenne consultative pour la pêche et l'aquaculture dans les eaux intérieures (CEIPEA), qui dépend de l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a présenté une proposition de « Plan de gestion » pour le grand cormoran en Europe. Les mesures recommandées comprennent, entre autres, un abattage massif des adultes coordonné à l'échelle européenne et la stérilisation des œufs par huilage.  

En France, à la demande des fédérations de pêcheurs, le Conseil d’Etat a annulé le 8 juillet 2024 l’arrêté ministériel du 19 septembre 2022 qui interdisait le tir de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025. Tout en reconnaissant que le palmipède n’était pas le facteur principal expliquant le mauvais état de conservation de certaines espèces de poisson, le Conseil d’Etat a considéré que la pression de prédation qu’il exerce apparaît susceptible, dans certains contextes particuliers, de contribuer à le dégrader davantage. La LPO a pris acte de cette décision et demeure très attentive à la méthodologie employée pour fixer les quotas de destruction de grands cormorans en eaux libres à l’échelle de chaque département. 

Pourquoi  un tel acharnement ?  

En plus d’avoir un impact négatif sur la pêche et l'aquaculture, les cormorans sont accusés de mettre en péril certaines espèces de poissons aujourd’hui gravement en déclin. Tenter de rendre un oiseau responsable de cette situation ne doit pas faire oublier les pressions systémiques, d'origine humaine, qui en sont les causes véritables : pollution et dégradation de la qualité des eaux, barrages et discontinuité écologique, réchauffement climatique et sécheresses meurtrières. Face à l’effondrement généralisé de la biodiversité, massacrer aveuglément des animaux sauvages considérés comme des concurrents à notre propre exploitation de la nature n’est plus tolérable. A l’instar du héron cendré, du martin-pêcheur ou de la loutre, le grand cormoran est un prédateur légitime qui participe au bon fonctionnement des écosystèmes fluviaux. L’enjeu n’est pas de sauvegarder le loisir de certains pêcheurs ni même le chiffre d’affaires d’exploitation piscicoles, mais bien de préserver les équilibres naturels dans les rivières. 

Les grands cormorans ont frôlé l'extinction dans les années 1970 en raison des persécutions humaines et de la pollution. Leur population n'a commencé à se rétablir qu'après l'introduction de la protection juridique instaurée par la Directive Oiseaux en 1979 et l'interdiction de pesticides toxiques comme le DDT. Le plan de gestion proposé est une nouvelle tentative d'inverser cette tendance positive, motivée par des raisons de commodité et pour répondre aux intérêts de groupes spécifiques, et non par de réelles préoccupations environnementales. Il ne résoudra pas les conflits entre cormorans et pêcheurs, ni les causes profondes du déclin des stocks de poissons, ni les difficultés plus larges du secteur aquacole.  

S'il n'existe pas de solution miracle, un large éventail de mesures non létales peut être mis en place pour réduire les conflits avec les pêcheurs et les aquaculteurs, en privilégiant la coexistence.