Compter les cris et estimer le nombre d’individus
Compter les cris et estimer le nombre d’individus
Compter les cris
Estimer le nombre d'individus implique souvent un fort biais d’interprétation par l’observateur. C’est pourquoi dans le cadre de Vol de Nuit, le nombre de cris est le seul paramètre obligatoire et la principale variable analysée : c'est la seule métrique comparable entre sites et observateurs, du moment que ces derniers comptent les cris de manière similaire. Pour les espèces grégaires très vocales dont les cris se superposent parfois (Grue cendrée, oies), une estimation globale du nombre de cris est largement suffisante. Pour les nuits aux effectifs de grives très importants, il est recommandé d’utiliser un cliqueur pour gagner du temps. Vous pouvez utiliser un cliqueur manuel ou un cliqueur en ligne que vous pouvez utiliser sur votre téléphone par exemple.
La plupart des vocalises émises par des oiseaux en déplacements nocturnes tombent sous l'appellation de « cris », c'est-à-dire une émission sonore avec une structure simple, souvent une phrase très courte qui peut être isolée ou répétée sur un bref intervalle de temps (par exemple le « tiut-tiut-tiut » du Chevalier aboyeur). Ces cris sont faciles à compter la plupart du temps car la séparation entre deux vocalises est assez claire. En revanche, certaines espèces peuvent émettre des vocalises de vol qui s'apparentent à des chants ou à des bribes de chants. C'est par exemple le cas de certains passereaux comme la Fauvette à tête noire dont on entend parfois des phrases de chant, tronquées ou non, émises par des migrateurs, surtout au printemps. C'est plus largement le cas de beaucoup de rallidés (p.ex. le Râle d'eau et ses séries de « ick ick ick ick » nasillards), de la Caille des blés ou encore de l'Œdicnème criard. La structure des vocalises est alors souvent plus complexe et moins stable d'un oiseau à l'autre (et même d'une répétition à l'autre) ; il est souvent peu évident d'y découper plusieurs parties et donc de « compter » de petites unités : c'est pourquoi le protocole Vol de Nuit propose de considérer chaque phrase de chant comme une seule vocalise ayant une cohérence fonctionnelle.
Voici quelques exemples permettant de balayer la majorité des types de vocalises émises par les oiseaux en vol nocturne. Dans ces exemples, une vocalise correspond à l’unité de comptage sur Trektellen (appelée cri sur le site) et peut donc correspondre soit à une phrase de chant, soit à un cri simple, soit à un cri composé de plusieurs unités accolées (par exemple : Pipit des arbres, Merle noir, Bergeronnette grise et printanière, Pipit farlouse).
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Figure 1 : Chez les limicoles, le comptage des cris est souvent simple. Les cris sont émis à des intervalles assez réguliers et forment des ensembles bien distincts, parfois composés de plusieurs éléments similaires répétés (par exemple : Chevalier aboyeur, Chevalier sylvain, Courlis corlieu) ou d’éléments légèrement différents répétés (par exemple : Chevalier gambette, Chevalier culblanc).
Figure 2 : Les limicoles étant des espèces plutôt grégaires, il n’est pas rare d’enregistrer des groupes de plusieurs individus. L’estimation du nombre d’individus est abordée plus bas dans le tutoriel. Le comptage des cris peut être rendu difficile par la superposition des cris comme dans l’exemple ci-dessus.
Figure 3 : Chez l’Echasse blanche et l’Avocette élégante, les cris de vols nocturnes proviennent souvent de bandes assez bavardes qui émettent des cris répétés souvent sur des durées assez longues. Chaque cri de ces séries compte comme une vocalise sur Trektellen.
Figure 4 : De nombreuses espèces de limicoles peuvent émettre des cris sociaux aussi appelés bavardages. Ces cris sont souvent courts et généralement émis à l’unité, parfois sur un rythme proche de celui des cris classiques. Certaines espèces (courlis, barges, Chevalier gambette) peuvent aussi faire des « husky chatter », des cris de bavardage assez chuintés et éraillés.
Figure 5 : Certaines espèces de limicoles peuvent émettre des phrases ou bribes de chant lors de leurs déplacements nocturnes. Cela peut être le cas de l’Œdicnème criard comme ci-dessus ou, moins fréquemment, des courlis corlieux et cendrés, du Pluvier doré, des barges rousses et à queue noire ou encore de l’Huitrier pie. Dans ces cas, une phrase ou bribe de chant sera considérée comme une vocalise et donc comptabilisée dans Trektellen comme un seul « cri ».
Figure 6 : Chez la Caille des blés, les vocalises émises en migration nocturnes sont des phrases de chant. Le premier type de chant est un « huit-uituit » assez connu, que certains retiennent grâce au moyen mnémotechnique « paye tes dettes » (ou « wet my lips » pour les anglophones). Le second type de chant est un « mau wau » guttural et précède souvent le premier. La Caille des blés peut aussi faire de nombreuses déclinaisons intermédiaires entre ces deux types de chant. Dans tous ces cas, une phrase de chant de Caille des blés (un « huit-uituit », un « mau wau » ou une déclinaison intermédiaire) correspond à une vocalise. Chez le Coucou gris, le chant peut être émis de nuit aussi et une vocalise correspond à une phrase de chant donc un « cou-cou ». Le cri de femelle est un trille long, aussi considéré comme une vocalise.
Figure 7 : Chez la Grue cendrée, les cris de jeunes sont nets et aigus et souvent moins nombreux, et sont donc généralement faciles à dénombrer. Les cris d’adultes occupent souvent de larges bandes de fréquence et le motif est assez brouillé. Ainsi, lorsque les cris se superposent, le comptage peut être assez difficile. Il est donc possible de donner une valeur minimale estimée du nombre de cri lorsque les cris se mélangent et ne forment plus qu’une masse indistincte, tant sur le sonagramme qu’à l’oreille. Il en est de même pour les oies qui peuvent former de larges groupes bavards et dont le nombre de cris peut parfois être délicat à estimer.
Figure 8 : Chez les Ardéidés, il est généralement facile de dénombrer les cris car ils sont simples, assez courts et émis à intervalles assez longs. La seule difficulté réside dans la superposition des cris notamment chez l’Aigrette garzette et le Héron garde-bœufs, mais l’écoute permet dans la plupart des cas de détecter les cris émis simultanés. Attention aux groupes mixtes ! Il n'est pas rare d'entendre plusieurs espèces voyageant ensemble, et toutes les combinaisons semblent possibles, bien que certaines espèces semblent migrer essentiellement seule ou en groupe monospécifique comme le Blongios nain ou le Butor étoilé.
Figure 9 : Chez le Grèbe castagneux, les « ouiiit » sont souvent émis groupé par deux mais peuvent être émis à l’unité ou bien groupé par trois ou même quatre. Dans tous les cas, une série de « ouiiit » émis groupés sera considéré comme une seule vocalise sur Trektellen. Le second type de cri est un trille souvent précédé de notes introductives, qui peuvent être émises isolées. Les notes introductives isolées sans le trille, les notes introductives avec le trille ou le trille sans les notes introductives correspondent à une vocalise sur Trektellen.
Figure 10 : La Foulque macroule peut émettre son cri typique claironnant à l’unité ou groupé par deux ou trois mais aussi des cris fins et aigus, qui peuvent être enchainés. Ces deux types de cris, émis à l’unité ou groupés, comptent correspondent à une vocalise sur Trektellen.
Figure 11 : La Gallinule poule d’eau pousse des cris composés de plusieurs notes groupées et peut émettre ces groupes de notes à quelques secondes d’intervalles. Ces groupes de notes sont considérés comme une vocalise. Chez le Râle d’eau les vocalises sont nombreuses et variées. Le cri le plus fréquent ressemble à celui du Bécasseau variable, c’est un long trille modulé (« tjuirrrr ») poussé à l’unité, qui forme donc une vocalise. Les notes de chant répétées forment une phrase de chant « ick ick ick ick » qui compte pour une seule vocalise. Les cris de porcelets émis par groupe « kruih kruih kruih kruiiih » forment aussi une seule vocalise pour le protocole.
Figure 12 : Chez les passereaux, les cris sont souvent émis à l’unité mais il n'est pas rare de trouver des versions doublées chez nombres d'espèces. Chez certaines et de manière moins fréquente, ils peuvent même être émis même par trois ou plus, notamment chez les Motacillidés : bergeronnettes printanière et grise, pipits des arbres et farlouse par exemple.
Figure 13 : Chez les Turdidés, certaines espèces peuvent aussi émettre des cris de vol nocturne à l’unité ou dédoublés/triplé, comme le Merle noir ou la Grive musicienne. Le Merle à plastron produit des cris composés d’unités répétées plusieurs fois. Ces cris composés correspondent à une vocalise.
Figure 14 : Deux autres exemples de passereaux pouvant faire des cris rassemblant plusieurs éléments groupés : l’Accenteur mouchet et les roitelets huppés et à triple bandeau. Chez ces espèces, un cri composé de plusieurs éléments répétés correspond à une vocalise. Chez les gobemouches gris et le Rougegorge familier, les cris sont normalement émis à l’unité et séparés par des durées globalement régulières et sont donc plutôt simples à compter. La situation est similaire chez le Gobemouche noir mais il peut émettre trois types de cris : des zzz, des wit et des zzz-wit (voir des zzz-wit-wit). Dans l’ensemble, cela correspond à une vocalise.
Figure 15 : Certaines espèces de passereaux peuvent aussi chanter la nuit en vol. Il est parfois difficile de séparer un oiseau qui chante posé de nuit, ce qui est possible chez de nombreuses espèces et particulièrement en ville à cause de l’éclairage urbain, d’un oiseau qui chante en vol. Quelques indices peuvent néanmoins permettre de confirmer l’hypothèse d’un oiseau en vol : augmentation puis diminution de l’intensité du chant au fur et à mesure que l’oiseau s’approche puis s’éloigne du micro, détection d’un oiseau en mouvement grâce au différentiel d’intensité entre les deux canaux d’un micro stéréo, détection de bruit de battement d’ailes. Si le milieu d’enregistrement n’est pas propice à la halte migratoire (par exemple : un environnement très urbanisé ou une plaine sans perchoir), on peut supposer qu’un oiseau chantant une ou deux strophes en pleine nuit est un migrateur en vol ; si un doute subsiste, il vaut mieux ne pas compter l'oiseau comme un migrateur. Les fauvettes et notamment la Fauvette à tête noire, la Fauvette babillarde ou la Fauvette des jardins, l’Hypolaïs polyglotte ou le Loriot d’Europe sont des espèces qui chantent régulièrement en vol la nuit, particulièrement au printemps. Lorsqu’il est possible d’être certain que l’oiseau est en vol, on comptera une vocalise par phrase de chant.
Estimer le nombre d’individus minimum
L’estimation du nombre d’individus enregistrés dans une série de cris est toujours très délicate. On ne parle pas du nombre d’oiseaux dans le groupe qui est passé en vol mais bien du nombre d’individus ayant poussé des cris. Sur la base des conclusions tirées de plusieurs années d’étude de la migration nocturne dans les Pyrénées, bien synthétisées dans le livre « La migration nocturne par le son » de Stanislas Wroza et Julien Rochefort, quelques méthodes permettent d'améliorer l'estimation nombre d’individus minimum dans un enregistrement. La majorité de ces méthodes fonctionne bien chez les espèces qui crient régulièrement et sur des longues séries comme les ardéidés ou les limicoles. Dans le cadre du protocole Vol de Nuit et de manière générale, le maître mot reste la prudence. Si un doute subsiste sur l’effectif, il vaut mieux adopter une approche conservatrice et garder la valeur la plus faible. L’estimation du nombre d’individus minimum doit se faire sans interprétation personnelle. Pour les espèces très abondantes comme les grives musiciennes et mauvis pendant certaines nuits de l’automne, l’estimation du nombre d’individus est très délicate et chronophage si elle doit être faite sérieusement.
Superposition de cris
Une première méthode assez pragmatique repose sur l’observation de la superposition de cris, possible lorsque des oiseaux crient en même temps ou presque. Avec des cris nets et assez puissants, on peut parfois arriver à individualiser jusqu’à 5 individus. Cependant certaines espèces émettent des cris paraissant très diffus sur les sonagrammes comme certains Laridés ou Ardéidés, ou encore les grives mauvis dans l’exemple ci-dessous. Dans ces cas-là, la superposition des cris n’est pas toujours évidente à percevoir sur le sonagramme mais parfois mieux perceptible à l’écoute. Il est donc important d’utiliser l’œil et l’oreille pour juger de la superposition des cris. Plus les cris sont courts, plus la probabilité de les voir se superposer est faible : cela arrive donc moins fréquemment chez les passereaux, qui émettent des cris dont les durées sont généralement faibles, que chez les limicoles. Vigilance avec l’écho qui, dans certaines conditions, peut faire croire à deux individus ; l’écho du cri est souvent moins net que le cri original et présent après chaque cri selon le même motif temporel.
Différences d’intensité
Une différence d’intensité répétée entre plusieurs cris peut mettre en évidence la présence de plusieurs individus. Dans l’exemple ci-dessous, on observe une série de cris de Bihoreau gris avec des alternances entre cris faibles et cris puissants, il est fort probable que nous ayons affaire à au moins deux individus, à des distances différentes du micro, qui crient successivement. Des différences très marquées d’intensité entre deux cris avec une durée courte les séparant n’est pas forcément un indice de la présence de plusieurs individus. En effet, plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de ce phénomène : changement de l’orientation de l’oiseau en vol, différence d’excitation qui ferait varier la puissance du cri (assez rare), oiseau qui dépasse entre les deux cris un élément de l’environnement situé entre lui et le micro. Veillez à vous assurer que la différence d’intensité est importante et assez répétée pour être certain que ces cris proviennent de plusieurs individus.
Durée entre les cris
Certaines espèces émettent des cris espacés d’une durée assez régulière. Pour ces espèces, lorsque cette durée est connue et maîtrisée, on peut suspecter la présence de plusieurs individus si des cris sont émis avec des durées entre les cris bien inférieures à la durée habituelle. Certaines espèces peuvent cependant avoir des durées entre les cris variables et comme pour l’intensité, certains oiseaux peuvent crier si leur excitation ou leur stress varie subitement. Il convient donc d’être particulièrement prudent avec cette méthode et de confirmer les suspicions grâce à l’utilisation conjointe d’autres méthodes. Le Bruant ortolan a une durée minimale entre les cris généralement supérieure à 2 secondes et si la distance entre les cris est inférieure à deux secondes, on peut suspecter fortement la présence de plusieurs individus.
Individualisation grâce à la stéréo
Si vous enregistrez en stéréo, que vos capsules/micros responsables des deux canaux d’enregistrements sont bien séparées, que votre système est orienté correctement et qu’un oiseau passe en faisant plusieurs cris, vous pourrez alors peut-être percevoir, via la différence du pic d’intensité de la série de cris entre les deux canaux, que le déplacement se fait dans une direction ou une autre. Grâce à cela, si deux oiseaux se suivent et passent au-dessus de vos micros, vous pourrez potentiellement observer une distribution différente des cris sur les deux canaux et en déduire que les cris appartiennent à des individus différents.
Signature vocale individuelle
Chez certaines espèces, un individu peut être reconnu à son cri, dont les paramètres (hauteur, longueur, timbre, structure et forme sur le sonagramme) ne varient pas ou peu lors d’une série de cris. L’enchainement de différentes signatures de cris peut permettre de mettre en évidence la présence de plusieurs individus. C'est par exemple le cas chez certains Ardéidés qui ont tendance à émettre des cris peu variables sur de longue séries. De même, dans certains groupes de limicoles, des variations répétées de fréquence sur un même type de cri signalent souvent plusieurs oiseaux de taille différente (plus gros = plus grave). Il est souvent facile de s'en rendre compte en juxtaposant les « pi-pi-pi-pi-pi » émis par un groupe de courlis corlieux, comme dans l’exemple ci-dessous. Il faut en revanche rester prudent sur les taxons où l’on est moins à l’aise. Différents facteurs comme les prédateurs, la lumière artificielle, les bruits de l’environnement, la présence et/ou les vocalises d’autres oiseaux de la même espèce ou non à proximité peuvent faire varier l’excitation et le stress des oiseaux en vol, affectant par ricochet certains paramètres des vocalises.
Contributeurs Xeno-Canto pour les sonagrammes :
Sébastien Arriubergé, Joost van Bruggen, Sergi Carreras, Frédéric Cazaban, Paul Coiffard, Alan Dalton, Pierre Foulquier, Elisabeth Godding, Théo Hervé, Ricardo Hevia, Lars Mogensen, Tanguy Loïs, Meinolf Ottensmann, James P, Vincent Palomares, Mark Pearson, Frank Pierik, José Manuel Reyes Páez, Xavier Riera, Julien Rochefort, Louis Sallé, Albert Subirà, Stanislas Wroza, Paolo Zucca, Irish Wildlife Sounds.